« Il était une fois, érigé au sommet d’une falaise aiguisée, un immense château nommé Pointudroidur. Le roi et la reine qui y régnaient étaient très exigeants.
Ils toléraient uniquement les sujets faits de lignes droites et d’angles pointus… »
Prenez une reine et un roi qui n’arrivent pas à avoir de successeur, un château, toute une série de personnages tels que valet, servante, fée et chevalier… Jusqu’ici, nous sommes en terrain connu : celui du conte.
Ajoutez-y un bonne pincée de figures géométriques, de la couleur, des typographies expressives et un graphisme au cordeau : vous obtiendrez « Il était une forme« , un conte original, graphique et moderne de Gazhole et Cruschiform (Marie-Laure Cruschi), édité chez Maison Georges.
Mais quelle idée saugrenue, me direz-vous ? Surprenante et pétillante, plutôt ! Parce que ce projet n’est pas seulement un conte associé à des formes géométriques. Ici, les mots sont aussi importants que les images et les couleurs, et le graphisme beaucoup plus symbolique et complexe qu’il n’y parait.
Un royaume en forme d’angles et de lignes droites
Revenons à cette histoire de reine et de roi sans successeur : Pointudroidur est donc le royaume des angles et des lignes droites. Rien ne doit déroger à cette règle et l’on comprend très vite que la personnalité des figures royales est obtuse et rigide. Or, des enfants, ils en ont eu ! Mais ces derniers n’avaient pas la droiture attendue et leurs formes arrondies et courbes n’entraient pas dans les cases parentales.
Il va donc falloir faire appel à une fée (mi-triangle, mi-vagues) aux dons métamorphes et un brin dyslexique, pour qu’elle crée une potion qui permettra aux royales formes de concevoir un digne héritier.
Ainsi naitra Triangle, leur fille, parfaite en apparence pour ses parents, mais en réalité pleine d’humour et de malice. Elle va se révéler beaucoup plus libre et rebelle que ne l’imaginaient le Roi et la Reine.
Je n’irai pas par quatre chemins, cet album est une pépite ! Une mine d’or même car il est foisonnant de jeux de mots savoureux (on pourrait même y voir un clin d’oeil à l’Oulipo) mais également d’interprétations tant au niveau graphique que textuel. Les formes, associées ou emboitées, créent des formes symboliques. Les couleurs, identifiant les personnages, mettent en valeur leurs émotions et leurs liens les uns avec les autres. Le découpage des pages, à la limite parfois du gaufrier de BD, dynamise le récit et permet des rebondissements visuels. Enfin, les pages illustrant les décors sont hypnotiques et plongent le lecteur dans des détails illusionnistes à la Escher.
Vous l’aurez compris, ce n’est pas un hasard si il était une forme a obtenu le prix Sorcières 2022. Un prix amplement mérité au vu de l’amplitude du concept et du travail des deux artistes (il aura fallu 7 ans pour le concrétiser tout de même).
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