C’est d’abord la couverture du roman de Kiran Millwood Hargrave, magnifiquement illustré par Tom de Freston, qui a attiré mon attention. Cette jeune fille, protégée de son ciret jaune, c’est Julia. Elle semble plonger dans un océan sombre dans lequel tourbillonnent un requin, des oiseaux et ce qui semble être une planète. Julia et le requin est un roman familial et sensible où se mêlent la nature puissante, les relations compliquées entre humains et une quête personnelle.
Un phare dans la nuit agitée des Shetland
Julia a « 10 ans et 203 jours » et elle est fille unique. Elle vit avec ses parents qui sont biologiste marine pour sa mère et technicien-programmateur de phare pour son père. Dans la famille, on aime les chiffres. Ils sont rassurants et binaires.
Or, ce que Julia aime particulièrement, ce sont les mots.
Encore un truc que j’aime avec les mots : ils sont plus dociles que les chiffres. S’il ne me tenait pas à coeur d’écrire une histoire vraie, je pourrais faire en sorte que tout soit comme avant grâce à eux. Alors que si je devais vous parler de ma mère en chiffres, il faudrait que je vous dise que les chiffres les plus importants, la concernant, sont désormais 93875400, le numéro inscrit sur son bracelet d’hôpital. Sauf que 93875400 ne vous apprend rien sur elle. Seuls les mots le peuvent. Et même eux échouent, parfois.
L’hospitalisation de sa mère est évoquée brièvement mais on sent tout de suite qu’un secret de famille pèse sur ce trio venu, le temps d’un été, s’installer dans un phare isolé des iles Shetland, au large de l’Ecosse.
Ceci est d’autant plus vrai que Julia porte le prénom de sa grand-mère maternelle, décédée alors que la mère de Julia était enceinte, de la maladie d’Alzheimer.
En quête d’un requin du Groenland, espèce rare qu’elle souhaite étudier, la mère de Julia y consacre tout son temps, au-delà d’un simple intérêt scientifique. En effet, cette créature a la particularité de nager extrêmement lentement, si lentement qu’il pourrait ralentir le temps… Cette obsession va vite prendre toute la place dans le quotidien de la famille, isolée dans son phare. Entre tempêtes marines et tempêtes émotionnelles, la mère perd peu à peu pied, sombrant dans des phrases dépressives puis explosant dans des vagues d’enthousiasme démesurées. Car elle est bipolaire.
Comment vivre avec cette mère qu’elle adore mais qu’elle ne comprend pas toujours ? Comment s’émanciper de cette figure maternelle aimée mais qui emprisonne et blesse parfois par son attitude et ses réactions extrêmes ?
S’aimer et se comprendre
Julia et le requin est d’abord le récit d’une famille qui tente de s’aimer et de se reconstruire après une crise. Au fil des pages et à travers les yeux et les mots de Julia, on devine la fragilité et les failles de cette mère qu’elle admire mais dont le comportement est parfois excessif. Des bribes de passé resurgissent, comme des pièces de puzzle. Elles formeront, petit à petit, le portrait de cette figure maternelle.
Il y a plus de secrets dans la mer que dans le ciel. Maman m’a dit un jour que lorsque l’eau est calme et que sa surface est semée d’étoiles, les secrets du ciel tombent dans la mer et s’ajoutent à ses mystères.
C’est également le récit d’une amitié sincère entre Julia et Kin, un jeune garçon qui vit sur l’ile et dont la famille tient une bibliothèque-lingerie. Victime de harcèlement et de racisme, grand connaisseur d’étoiles, ils vont devenir amis.
Enfin, Julia et le requin ne pourrait exister sans son décor naturel et puissant : celui de l’océan. Il est omniprésent à travers la symbolique du phare, qui guide les bateaux mais aussi cette famille perdue. Il l’est aussi de manière vibrante et sensible grâce aux illustrations de Tom de Freston. Obsédé par l’obscurité et nos peurs enfouies, il met en scène avec brio les cauchemars de Julia, ses angoisses et ses incompréhensions face aux accès de folie de sa mère.

L’association des mots de Kiran Millwood Hargrave et des illustrations sombres mais lumineuses de Tom de Freston apporte à ce roman une sensibilité originale, qui traduit bien les émotions « à fleur de peau » de Julia.
Pourquoi lire Julia et le requin ?
Julia et le requin est un plongeon dans l’océan agité que peuvent traverser ces familles que la maladie psychique et le suicide bouleversent. Les personnages créés par Kiran Millwood Hargrave et magnifiquement illustrés par Tom de Freston sont touchants et vivants, faillibles et sensibles. On sort de cette lecture avec une vision belle et vraie de l’amitié et de l’amour qui portent et soutiennent. Qui nous permettent de nous trouver nous-même également.
Des ressources complémentaires sont disponibles à la fin de l’ouvrage pour s’informer sur la nature et sur la santé mentale.
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