Cécile Coulon, en 2018, recevait le prix Apollinaire, équivalent d’un prix Goncourt de la poésie, pour son recueil Les Ronces. La poétesse, qui est aussi romancière, est de retour avec La Langue des choses cachées. Un roman sombre et envoutant, tragique et orageux, qui dit avec une poésie puissante les violences faites aux femmes dans un village enfoui au creux des basses collines.
Comprendre les choses cachées
Un jeune homme, le fils, doit prendre la suite de sa mère, guérisseuse, appelée dans un hameau isolé : le Fond du puits. Elle lui a transmis son savoir et la langue des choses cachées. Cette écoute du corps, du feu et des silences fait de lui un « guérisseur », au même titre que sa mère. C’est la première fois qu’il va seul, sans la présence de celle qui l’a initié.
Alors qu’il arrive au village, le prêtre accueille le fils. Il est attendu. Car il voit et entend. Il lit les traces des actes passés, des violences, les cris des femmes prises par la force. Et le bruit est assourdissant dans ce hameau.
Le fils ne cesse de regarder la table, ses yeux se perdent dans les rainures pleines de graisse, des araignées accrochées dessous lancent des toiles douces et solides, il sait qu’ici les hommes ont été plus violents encore que sur des champs de bataille, qu’ils ont préféré défaire des femmes sur cette table plutôt que dans leur lit où ils ne cherchent que le sommeil et l’épaisseur des édredons. Alors ils violent là où ils mangent, et le fils, malgré ce que lui a appris se mère, chancelle d’entendre des cris et d’être seul à les entendre.
On l’appelle au chevet d’un jeune garçon fiévreux qu’on ne sait guérir. Son père, une brute aux épaules rouges, le veille et sent son monde s’écrouler. Pourtant, il est lui-même la source de ce désordre. Car il est la force brutale qui a violé et blessé au plus profond de leurs chairs les femmes du village.
Et justement, un jeune garçon vient chercher le fils pour une autre mission. Une femme qui lutte contre elle-même. Contre son propre corps. Contre la vie qui aurait grandi en elle et dont on ne voulait pas. Avec toute la puissance de la colère.
Or, alors qu’il accepte de venir l’écouter, le fils découvre que cette histoire est intimement liée à une erreur que la mère a faite des années auparavant. Pourra-t-il la réparer ? Pourra-t-il restaurer l’ordre du monde que cette brute aux épaules rouges a bouleversé ?
Puissance narrative
Les mots de Cécile Coulon sont faits de lave. Fascinants et puissants, lents et fluides mais qui prennent la force du roc lorsqu’ils s’immobilisent.
La langue des choses cachées, c’est une quête de vérité. Celle de vies qui ont été brisées, violentées et que le secret a transformées en morts-vivants. Une vérité monstrueuse et brutale qui doit être vue, entendue et vécue par le fils. Mise en pleine lumière et révélée pour pouvoir être criée et libérée.
Les cris traversent son corps comme des lames, il se tord, cogne sur son crâne pour qu’ils sortent, mais ses pauvres mains sont inutiles. Les hurlements qu’il a déjà entendus sont pires cette fois-ci : ils l’attaquent, le soumettent, il essaye de se lever, tente d’atteindre la poignée, mais dès qu’il fait un geste se tête résonne si fort qu’il en perd l’équilibre.
A travers le fils, on découvre le passé de ces vies de femmes, la venue de la mère et son intervention quelques années auparavant. Son erreur aussi mais sa volonté de retrouver l’ordre naturel des choses.
Le fils va donner une conclusion juste à cette blessure qui a transformé le hameau en tombeau ouvert. Son expérience marquera la fin de son initiation, traversant à la fois la mort et la vie.
L’écriture de Cécile Coulon est sombre, parfois violente mais toujours juste. Elle dit la nature, les choses, les meubles et les gens dans une langue poétique acérée mais profondément humaine.
On ne sort pas indemne de cette lecture et on reprend parfois son souffle pour plonger au fond du cœur parfois crasseux des hommes. Mais c’est pour mieux retrouver la surface et la lumière crue du réel et de l’espoir qui l’accompagne.
Pourquoi lire La langue des choses cachées ?
En 130 pages, Cécile Coulon nous emmène dans les profondeurs de l'âme humaine. Celles d'un village rongé par la violence et le sang. Avec le fils, et sa mère avant lui, l'autrice soulève le voile posé sur les choses, les lieux et les êtres pour mieux révéler leur vérité en un cri assourdissant. L'écriture fiévreuse et puissante, poétique et tourmentée, déchire la noirceur du secret pour dire la douleur et la mort.
Un roman qu'on n'oublie pas.
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