Mots Tordus et Bulles Carrées

L’année de grâce (Kim Liggett)

« Dans la lignée de La Servante écarlate, Sa Majesté des mouches et Hunger Games« . Voilà ce qu’annonce la 4e de couverture du roman « L’Année de grâce » de Kim Liggett aux éditions Casterman. Deux citations préliminaires sont d’ailleurs extraites des deux premiers ouvrages cités.

Et, en effet, ce roman, paru en 2020, est une dystopie jeunesse féministe. Les premières pages rappellent beaucoup l’univers de La Servante écarlate. Mais, passé cette référence au bout de quelques pages, son univers et l’atmosphère qui y règne prennent toute leur indépendance.

Qu’est-ce que l’année de grâce ?

« Personne ne parle de l’année de grâce.

C’est interdit.

Nous aurions soi-disant le pouvoir d’attirer les hommes hors de leurs lits, d’ensorceler les garçons et de rendre les épouses folles de jalousie. Notre peau dégagerait l’essence pure de la jeune fille, de la femme en devenir. C’est pourquoi nous sommes bannies l’année de nos seize ans : notre magie doit se dissiper dans la nature afin que nous puissions réintégrer la communauté. »

Tierney est une adolescente qui vit dans une société misogyne et patriarcale. La vie quotidienne des femmes y est réglée par les hommes et par le mariage qu’elles ont pu « nouer ». Aucun accès à l’imaginaire n’est autorisé : les rêves sont suspects car potentiellement des manifestations de magie. La féminité et la sensualité le sont encore davantage. Pour survivre dans ce monde étroit, il faut être mariée et fonder une famille. Et déposer sa vie dans les mains de son mari. Mais Tierney est différente. Elle chérit son indépendance et ne souhaite pas devenir une épouse, quitte à être déclassée.

Alors que son père l’a élevée dans cet esprit d’autonomie, elle se sent peu proche de sa mère qui semble la juger. Ou de sa soeur June qui a déjà passé l’année de grâce et s’est mariée. Or, son départ pour l’année de bannissement approche. Mais elle préfère passer du temps avec son ami Michael, en dépit des regards malveillants de sa communauté.

Après une demande en mariage inattendue, elle va devoir se rendre, avec les autres jeunes filles de 16 ans, dans un camp isolé dans la forêt pendant un an. Les conditions de survie dans ce lieu lui sont inconnues. Mais elle sait qu’il y sera question de vie et de mort. En effet, chaque année, seules quelques jeunes filles reviennent vivantes de ce « séjour ». Et celles qui en reviennent ne sont plus jamais les mêmes.

Un an d’exil, un an d’épreuves

C’est là que la référence au roman Sa Majesté des mouches prend tout son sens. La cohabitation avec les autres jeunes filles est difficile. Alors que l’union aurait dû leur permettre de s’entraider, c’est la recherche de domination et la soif de pouvoir qui prévaut. Et Kiersten, l’ennemie de Tierney, ne va pas lui faciliter les choses.

Si l’on ajoute à cela la peur d’un environnement extérieur menaçant (des braconniers capturent les filles qui passent la palissade pour les tuer) et des pratiques de sorcellerie qui virent rapidement à la torture, l’année d’exil est une année d’épreuves intenses, tant physiquement qu’émotionnellement.

On ne ressort pas indemne de cette lecture. L’aventure est haletante, stressante et parfois violente. Le découpage en saisons et en chapitres bien rythmés en fait un « page turner » efficace.

Mais c’est aussi, comme toujours dans les dystopies, l’occasion de s’interroger sur l’être humain, sur sa capacité à nuire à ses semblables, par jalousie ou par soif de vengeance. L’occasion aussi de questionner la féminité, les traditions qui ont toujours entravé la vie des femmes et le poids des croyances quant au corps féminin et à la sensualité. L’occasion enfin de penser la résilience et l’espoir d’une sororité puissante.

Pourquoi lire L’année de grâce ?

Passer un an auprès de Tierney, Kiersten, Martha, Gertie et les autres est une épreuve, certes, mais les moments de grâce et d’amour permettent d’illuminer ce chemin sombre et dangereux vers une féminité assumée et revendicative. C’est sans doute un message positif et valorisant à transmettre à toutes les adolescentes. Pour que n’existe jamais plus une société comme celle-ci et que le pouvoir des femmes s’affirme par leur solidarité, entre elles et avec les hommes.

Une adaptation cinématographique pourrait voir le jour cette année.

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(Mots Tordus)

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