Francès est une couturière parmis tant d’autres jusqu’à ce que l’originalité d’une de ses robes se fasse remarquer par un membre de la famille royale.
Alors qu’elle pensait être embauchée comme couturière privée de la princesse, elle apprend rapidement que c’est le prince Sebastien qui apprécie la touche toute particulière qu’elle donne à ses vêtements féminins.
Notamment des robes qu’il aime porter sous l’identité de la fantasque Lady Charisma.
Un hymne à l’ouverture d’esprit
Le courage de s’assumer tel qu’on est
Le prince et la couturière de Jen Wang aborde la thématique du genre par le prisme du vêtement, tout en évitant les caricatures.
Tout tourne autour du prince Sébastien.
A première vue, c’est un héritier tout ce qu’il y a de plus classique.
Courtois, aimable et plutôt beau garçon, le jeune homme recherche, pour satisfaire les demandes de ses parents, une jeune femme à épouser.
De ce point de vue, rien de nouveau.
Mais, à l’image de la princesse Mérida de Pixar, Sébastien rêve d’une autre vie.
La comparaison avec l’héroïne de rebelle n’est pas anodine, à ceci près que Sébastien ne cherche pas sa place auprès des hommes mais plutôt du côté des femmes.
Et bizarrement, un garçon qui se met à porter des robes, cela met beaucoup de personnes mal à l’aise.
Et ce n’est pas notre société, encore dominée par une forme de masculinité toxique, qui va arranger les choses.
Un homme est protecteur, il montre ses muscles et surtout pas ses émotions.
Alors imaginez s’il se met à porter de belles robes de princesses.
Avec l’aide de Francès, il crée le personnage de Lady Charisma.
Femme sublimée par les créations de la couturière, Lady Charisma est tout ce que n’est pas le prince Sébastien .
Ou plutôt Lady Charisma est la véritable personnalité du jeune garçon.
Elle s’amuse, profite de la vie et surtout elle s’assume, au point de prendre des décisions qu’il n’aurait jamais osé prendre.
D’une certaine façon, le prince Sébastien a été éduqué dans cette idée alors il préfère cacher cela à ses parents.
Et surtout à son père.
La fin risque de faire vibrer le coeur de tous parents et sonne comme une belle leçon d’éducation.
La relation qu’il entretient avec Francès est d’ailleurs très intéressante.
Dans notre fort inconscient, on a tendance à lier les questions de genre avec les questions de sexualité.
Or Jen Wang ne prend aucunement partie, comme si elle laissait son personnage prendre ses propre décisions.
Est-ce qu’il aime Francès ?
Vous n’aurez pas la réponse car, au fond, peu importe. Sa façon de s’habiller ne doit pas être un prétexte aux avis préconçus.
Finalement, l’une des morales de l’histoire dépasse la question de genre.
« Assumez-vous tel.les que vous êtes ! »
Vivre de sa passion
Et, d’une certaine façon, c’est aussi le cas de Francès.
Avant de rencontrer le prince, ce n’était qu’une simple couturière dans un atelier.
Le hasard l’amène à concevoir une robe pour une jeune noble cherchant à se démarquer de l’assemblée.
C’est avec cette création qu’elle démontre un certain talent pour faire ressortir la personnalité profonde de ses clients par le vêtement.
Un don que le prince va utiliser pour créer le personnage de Lady Charisma.
À aucun moment, Francès ne juge le prince.
Elle aime ce qu’elle fait pour lui et fait prendre d’un véritable sens créatif pour faire ressortir la véritable personnalité du jeune prince.
Pourtant, devoir cacher son nom pour protéger le secret de son ami commence à lui peser.
La jeune couturière rêve de reconnaissance et cherche l’assentiment de ses pairs.
Comme tout artiste, elle va se confronter à l’aseptisation de son art pour convenir à une commercialisation de masse.
Elle aussi, aura des choix à faire. Forcement liés à la destinée du jeune prince, mais pas que.
Et c’est sans doute la seconde morale de ce récit
« Ne jamais renoncer à ce que l’on est ! »
L’élégance du trait de Jen Wang
Le style graphique de Jen Wang est dans la lignée de nombreux comics jeunesse.
Les lignes sont courbes, les designs légers mais fluides et l’encrage épais accentue à merveille les plans et les matières.
On y retrouve d’ailleurs certains codes de l’animation avec un accent porté tout particulièrement sur les mouvements et les émotions des personnages.
Cependant, cette « simplicité » de façade cache la véritable élégance et variété de son dessin.
Les designs de ses personnages sont multiples et caractérisés par certains partis pris anatomiques marqués comme le nez pointu de Sebastien ou les grandes oreilles de Francès qui rappelle le travail de Lucie Bryon sur Voleuse.
De plus, l’autrice a apporté une grande attention aux tenues vestimentaires : les robes de Lady Charisma sont toutes plus sublimes les unes que les autres.
Il en est de même pour les environnements attestant de la temporalité du récit.
La mise en page est maitrisée et utilise avec brio les variétés de cadrage et de case pour amplifier les grandes scènes du récit.
Quant aux couleurs, elles pourront paraître ternes à certains mais elles attestent du rôle essentiel qu’elles jouent pour lier un ensemble agréable à regarder et cohérent.
En résumé
Le prince et la couturière de Jen Wang est un conte romantique, tendre et émouvant. A travers le portrait du prince Sébastien et de Francès, le récit incite l'ouverture d'esprit, qu'elle soit sociale ou culturelle. L'élégance du dessin de Jen Wang témoigne autant de sa générosité que de son efficacité pour mettre en scène la multiplicité des comportements en évitant les caricatures et en gardant cet optimisme revigorant. Un album à (re)découvrir.
Récompenses
- Prix Harvey du meilleur livre pour enfant ou jeune adulte – 2018
- Prix Eisner de la meilleure publication pour adolescents – 2019
- Fauve jeunesse – 2019
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