Il aura fallu une épreuve du bac de français pour que je découvre enfin ce roman, prix Goncourt des lycéens 2020. Les impatientes de Djaïli Amadou Amal est un roman polyphonique qui tisse les destins de trois femmes camerounaises. Trois femmes qui subissent, chacune à leur manière, le mariage forcé et la polygamie. Trois femmes en quête d’amour et de liberté.
« Patience, mes filles ! Munyal ! »
D’abord, il y a Ramla.
Elle et sa soeur Hindou sont sur le point d’être mariées. Leur père et leur oncle leur donnent les conseils d’usage.
Soyez soumises à votre époux.
Epargnez vos esprits de la diversion.
Soyez pour lui une esclave et il vous sera captif.
Soyez pour lui la terre et il sera votre ciel.
Soyez pour lui un champ et il sera votre pluie.
Les deux soeurs se serrent la main. Elles pleurent, l’une de détresse, l’autre de rage.
Toutes deux vont être mariées à un homme qu’elles n’ont pas choisi. Pire, Ramla va devenir une coépouse.
Dans un récit bouleversant, nous allons la suivre de l’enfance au mariage et découvrir la tragédie d’une femme éduquée, aux rêves brisés par une famille qui peut décider de tout.
Ensuite, il y a Hindou, sa soeur. Mariée à Moubarak, un homme violent, alcoolique et infidèle. Hindou qui trouvera refuge dans la folie.
Enfin, c’est Safira qui prend la parole. Safira dont le mari vient de prendre une nouvelle épouse. Elle, la daada-saaré, la première, qui se pensait indétrônable.
L’on découvre alors la vie quotidienne, faite de frustrations, de rancoeurs et de jalousies, qui rythme les tours chez l’une et l’autre des deux épouses.
Trois femmes qu’on exhorte à la patience et qui s’y refusent.
Comment s’affranchir de sa condition ?
Il faut le dire : la lecture des Impatientes n’est pas facile. La vérité sur la condition des femmes au Cameroun, les violences qui leur sont faites, tant physiques que psychologiques, sont difficiles à appréhender.
Mais cette lecture est nécessaire. Pour les lectrices autant que pour les lecteurs.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’on surnomme Djaïli Amadou Amal « la voix des sans-voix« . L’autrice est camerounaise, peule et musulmane. Elle a été mariée de force à 17 ans à un cinquantenaire polygame qui a fini par la répudier. Remariée, elle a fini par fuir suite à des violences conjugales qui menaçait sa vie et celle de ses enfants. Elle s’est reconstruite et a fondé en 2012 l’association « Femmes du Sahel » qui aide les jeunes femmes à obtenir l’indépendance par les études.
Ce récit transpire de vérité. C’est un cri lancé au monde pour dire ce que vivent les femmes, toutes les femmes, en Afrique sahélienne notamment.
Car c’est là une des grandes forces de ce roman. La parole est donnée autant à la jeune femme qu’on arrache à sa famille qu’à la coépouse qui voit son statut s’effondrer. On découvre aussi les manigances familiales, l’obsession de tradition et d’honneur, au prix de la vie de ces femmes à qui on impose le silence.
Ô mon père ! Ton orgueil et tes intérets passeront toujours avant. Tes épouses et tes enfants ne sont que des pions sur l’échiquier de ta vie, au service de tes ambitions personnelles.
Ô mon père ! Ton respect de la tradition est au-dessus de nos volontés et de nos désirs, peu importe les souffrances que causeront tes décisions.
Ô mon père, nous as-tu jamais aimées ?
Dans une écriture sobre, la voix de ces trois femmes retentit enfin. Elles percent toutes ces phrases insipides de « Patience ! », entendues face à leurs souffrances ou à leur impuissance de femmes dans un monde d’hommes.
Pourquoi lire Les Impatientes ?
Les Impatientes de Djaïli Amadou Amal est une lecture nécessaire. Fervente défenseuse des droits des femmes, l'autrice nous raconte avec force et simplicité les destins de trois femmes enchainées par le mariage. Trois femmes dont les voix vont porter au-delà du silence imposé à celles qui devraient être soumises. Une leçon de courage et une soif de liberté qui pousse dans les retranchements.
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