La lutte sociale a toujours été, pour moi, une histoire de femmes. Depuis que je sais marcher, je sais défiler et porter fièrement une pancarte syndicale. Chanter des slogans pour crier haut et fort la révolte et la soif d’égalité. Fille d’une déléguée syndicale engagée dans la défense des droits des travailleurs de La Poste et de France Telecom (ce qu’on appelait encore les PTT), j’ai tout de suite été accrochée par la couverture en rouge et noir de Têtes hautes de Cathy Ytak. Et j’y ai découvert quatre très beaux parcours de femmes. Ceux de deux duos de sœurs, l’un à Paris et l’autre à Douarnenez, qui vont se révéler au travers de leurs luttes individuelles et sociales.
Yarig et Angèle, Carol et Suzanne
1924. Tout commence par deux univers, l’un parisien et l’autre breton. Deux familles que tout semble opposer.
D’abord, celui de Carol et Suzanne. Les deux soeurs vivent avec leur mère et son nouveau mari dans un appartement cossu de la capitale. Si Suzanne porte la tenue à la mode pour sortir et aller danser (chapeau cloche, robe en crêpe et manteau de flanelle), Carol lui préfère une tenue plus masculine (pantalon et silhouette androgyne). Les deux soeurs ne se ressemblent en rien. L’une est déjà destinée au mariage pour lui assurer une belle situation. L’autre, née fille-garçon, peine à trouver son identité entre les deux genres.
Ensuite, il y a Yarig et Angèle. Toutes deux vivent chez tante Augusta à Douarnenez avec leurs frères pécheurs, pendant la saison. Elles travaillent aux sardines, à l’usine Marchal. Ce sont des « penn sardin« , comme on dit là-bas. Le reste de la famille vit en campagne, dans une ferme qui peine à survivre. Elles non plus ne se ressemblent guère. Si Yarig est pleine d’énergie et n’a pas la langue dans sa poche, sa soeur est plus discrète et obéissante. Elles vont être séparées par la force des choses (ou celle du destin).
– La dame est venue voir Mam’, elle lui a dit : « Je viens chercher votre fille Yarig. On m’a rapporté qu’elle était vaillante et honnête. » Mam’ a appelé le voisin, parce qu’il parle mieux français qu’elle, et elle a dit à la dame : « Pas Yarig, elle est trop jeune. Mais j’en ai une autre qui fera l’affaire. »
Alors qu’Angèle quitte la Bretagne pour rejoindre la famille de Carol et Suzanne pour laquelle elle va travailler en tant que bonne, Yarig va s’engager dans un conflit historique. Celui des ouvrières des sardineries de Douarnenez.
Luttes féministes, lutte universelle
Les fils de vie de ces 4 personnages féminins vont se mêler et s’entrecroiser dans plusieurs dimensions.
Dans un premier temps, c’est celle de la lutte des classes qui va peser sur Angèle. Sa venue à Paris est rude, tant du point de vue de l’adaptation (les habitudes bretonnes ne sont pas celles des parisiens) que des conditions sociales. En effet, grâce au récit de Cathy Ytak, on découvre le quotidien des « bécassines », ces femmes bretonnes, coiffées et habillées à la mode de leur village, parlant difficilement le français et souvent moquées pour leur vocabulaire hésitant. Ces femmes que l’on a arrachées à leur famille et qui se retrouvent seules dans les demeures de la grande bourgeoisie parisienne. Ces femmes que l’on ne rémunère quasiment pas et qui travaillent du soir au matin pour presque rien. On ressent ainsi la solitude et la tristesse d’Angèle.
Du côté de Yarig, ce sont les luttes sociales que l’on découvre à travers les actions et les grèves lancées dans les usines. Exploitées elles aussi pour quelques sous, les ouvrières réclament des salaires plus hauts et décident de s’unir en bloquant l’entreprise, en écho à toutes les usines fermées des alentours. On découvre cette fois la solidarité des habitants et des familles. Le combat pour les droits des femmes et l’émergence d’un conscience politique au cours de cette année folle.
En ce qui concerne Suzanne et Carol, c’est la condition féminine, au sein de la société bourgeoise parisienne, qui est remise en question. Suzanne ne veut pas se marier et voudrait, au contraire, faire ses propres choix. Carol, préservée par sa mère qui sait sa particularité physique, se cherche physiquement et sentimentalement. Androgyne, elle vit une double vie le jour et la nuit, femme ou garçon. Elle découvre ainsi la liberté d’être un homme, d’entrer où bon lui semble, de ne pas porter le lourd regard des autres sur son corps.
Quand l’union fait la force
Leurs différents destins vont se croiser, à Paris et à Douarnenez, s’unir par la force des choses. La tête haute. Chacune va apprendre à respecter l’autre. Les rêves des unes et des autres vont se dévoiler et se révéler, dans des circonstances agitées et l’ébullition de la révolte sociale.
Cathy Ytak, dans une écriture sobre et incarnée, nous fait vivre le quotidien de ces 4 femmes. Nous partageons leurs pensées, leurs émotions, leurs doutes et leurs questionnements. Chacune, à sa manière, apporte sa pierre à l’édifice qui se construit dans les luttes individuelles et collectives de cette époque. Pour que vivent plus dignement les femmes et que leurs droits soient respectés. Qu’elles puissent vivre librement leurs rêves et être qui elles veulent.
Pourquoi lire Têtes haute ?
Têtes hautes est un roman à 4 voix. Celles de Yarig et Angèle, les jeunes bretonnes, et celles de Carol et Suzanne, les parisiennes. Ancrée dans un contexte social historique, celui des grèves des Penn Sardin à Douarnenez qui vont marquer de leur empreinte la lutte sociale pour les droits des ouvrières, mais aussi du Paris des années folles, celui des avant-gardes et de la libération sexuelle, l'histoire de ces femmes qui luttent pour devenir qui elles veulent et réaliser leurs rêves est puissante et salvatrice.
La lecture de ce roman est également un magnifique hommage aux femmes engagées qui combattent et ont combattu pour leurs droits et celui de leurs familles.
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