Sauvée de la noyade par un équipage viking, Vei doit faire face à sa destinée.
Élevée dès son plus jeune âge par les Géants de Jotunheim, elle doit participer au Meistarileikir, un tournoi opposant les champions des Géants à ceux des Ases.
Jusque là, le clan d’Odin en est toujours sorti victorieux.
Mais Vei, aidée de Dal et d’un allié inattendu, est prête à relever le défi .
Une saga nordique époustouflante
Mythe nordique

Vei est une bande dessinée suédoise de Sara B. Elfgren et Karl Johnson, sortie chez Ankama et rééditée à l’occasion des 20 ans de la maison d’édition.
Saga opulente et généreuse, elle fut une surprise tant par la tonalité de son récit que par la multiplicité de ses thématiques.
Et pourtant, Vei reste, à ce jour-ci, la seule incursion de l’autrice dans le petit monde de la bande dessinée, lui préférant celui des romans jeunesses, du cinéma et de la télévision.
Malgré tout, on sent dans l’écriture de Sara B. Elfgren cette expertise multimédia alliée à une connaissance érudite de la mythologie nordique.
Pour l’écriture, on est sur un pur « page turner ». Lorsque vous ouvrirez ce livre, attendez-vous à avoir du mal à le refermer avant la dernière page.
La lecture est enivrante et on se laisse emporter par une avalanche d’actions et d’émotions, bien moins stéréotypée qu’escompté. Les cliffhangers sont époustouflants et donnent au récit des directions insoupçonnées.
C’est d’ailleurs une de ses grandes qualités.
En effet, on pouvait craindre une certaine redondance et un schéma d’action répétitif.
Or, l’autrice nous surprend par son inventivité, offrant une réelle dynamique à sa saga.
Et quelle saga !
Il faut dire que Sara B. Elfgren peut s’appuyer sur la richesse de la mythologie nordique.
Bien loin d’une vision commune aseptisée, Vei plonge à la source même des mythes.
Des vikings aux Géants de Jotunheim en passant par les divinités nordiques, Sara B. Elfgren utilise ce panthéon unique pour enrichir son histoire de personnages charismatiques et surpuissants.
Et il en faut pour nourrir les duels du Meistarileikir, un tournoi opposant les meilleurs combattants des Géants et des Ases .
Les lecteurs de Marvel, notamment de Thor, retrouveront la trame d’une histoire racontée des millions de fois, à un détail près… Sara B. Elfgen n’écrit pas un récit mainstream.
Au contraire, elle détourne certaines croyances, mettant en scène des Dieux particulièrement fourbes.
Et, en effet, la bataille se fait autant dans l’arène qu’en coulisses où les messes-basses et les trahisons sont légions.
Il faut dire qu’ Odin n’est guère connu pour son caractère affable.
Bien avant d’être des dieux, les Ases sont des guerriers cruels, stratégiques et leurs champions sont particulièrement féroces.
Ainsi, on comprend tout le désarroi de Dal, qui était prêt à donner sa vie pour Odin.
Il se rend rapidement compte que ce dernier n’accorde, en réalité, que peu d’égard au peuple de Midgard.
Inversement des rôles

Par certains égards, Sara B. Elfgren opère un « féminisation » de la fantaisie nordique.
De façon caricaturale, l’imagerie viking est souvent assimilée à une forme de masculinisme.
Pourtant, dès les origines, les mythes nordiques ont toujours laissé une grande place aux femmes puissantes.
Que ce soit les Valkyries, ces guerrières amenant les défunts aux Valhalla, ou Freiya, déesse nordique aux sombres présages, les figures féminines peuplent cette mythologie.
Ainsi, Sara B. Elfgren se coule dans cette tradition en y ajoutant sa propre personnalité.
Le récit regorge de portraits féminins.
Des guerrières féroces des Ases à la déesse chasseresse ou à la reine de Jotunheim, l’autrice glorifie la puissance de femmes conscientes du pouvoir qu’elles détiennent.
Cependant, la scénariste ne cherche pas à défendre une quelconque idéologie.
En effet, ces dernières sont, pour certaines, aussi machiavéliques que leurs homologues masculins.
Alors que d’autres se montrent sensibles voire naïves comme certains hommes.
Vei et Dal en sont les meilleurs exemples.
Vei est une guerrière implacable qui se jette dans la bataille avec la rage d’une survivante.
Pourtant, duel après duel, le doute effrite sa carapace et sa dépendance à un allié, qu’elle juge illégitime, n’arrangera en rien ses remords.
Elle se bat jusqu’à l’épuisement pour découvrir, par la suite, le réel objectif de ce tournoi.
De plus, la relation qu’elle entretient avec Dal est particulière, presque anachronique.
Dal avait tout pour être le héros de cette saga, pourtant, il laisse sa place à la jeune femme, prenant le rôle ingrat du love interest.
Par ce biais, Sara B. Elfgren déconstruit le schéma habituel du héros, laissant son « amoureuse » dans l’attente de son retour.
Heureusement, il est plus complexe, montrant une sensibilité presque inhabituelle l’obligeant à prendre des décisions inattendues.
D’une certaine façon, Dal est un homme déconstruit !
Dans le même ordre d’idée, Sara B. Elgren développe une réflexion sur le genre et la sexualité, libérée de tout diktat.
Loki symbolise parfaitement cette réflexion .
Tantôt homme, tantôt femme, le dieu du mensonge assume autant ses changements que ses envies.
Le personnage, d’une modernité folle, déjoue tous les jugements, se montrant au-dessus des regards réprobateurs.
Derrière ses nombreuses mesquineries, il se montre au final honnête avec les personnes qu’il respecte et qu’il aime.
Un graphisme à la sauce comics

En tout honnêteté, je pensais que Karl Johnsson était américain.
Son dessin, son encrage et même sa mise en page transpirent le (bon) comics.
Il faut dire qu’entre l’élégance de son trait, la puissance de son encrage et sa mise en page explosive, l’auteur nous régale.
Détaillé et maitrisé, son trait apporte une présence folle à cet univers et à ces multiples races qu’ils soient Géants, humains ou Ases.
Ces derniers, dont l’imagerie est parasitée par des années d’emprise culturelle, retrouvent un esthétisme plus européen, moins focalisé sur la perfection des corps.
En effet, les formes sont variées : grand, petit, costaud ou gras du bide, il y en a pour tous les goûts.
Ce qui n’empêche pas Karl Johnsson de jouer avec la sensualité des corps sans pour autant tomber dans le voyeurisme.
De même, l’auteur assimile graphiquement les inversements de rôles du scénario.
Il caractérise cette dualité à travers les deux personnages principaux.
Si le visage de Vei est carré et brut, celui de Dal, paradoxalement, s’avère plus fin et délicat, ce qui donne au guerrier viking des traits féminins un peu perturbants.
Auteur complet, il a aussi en charge la colorisation.
Avec un choix de couleurs chaudes, il enlumine cet univers sanglant et féroce.
Hormis Vei, on peut aussi découvrir le travail de Karl Johnsson dans le sommaire du tome 11 de Métal Hurlant.
En attendant de le retrouver sur un projet plus conséquent !
En résumé
Vei de Sara B. Elfgren et Karl Johnsson est une saga épique, violente, addictive et féministe.
Derrière ce récit, inspiré des mythes nordiques, Sara B. Elfgren donne la part belle à une héroïne empêtrée dans un affrontement qui la dépasse.
La scénariste met en scène des portraits de femmes puissantes, par moment manipulatrices, n'hésitant pas à se montrer aussi féroces que leurs homologues masculins.
En parallèle à ces duels ensanglantés, le récit dessine une histoire où l'amour et l'amitié trouvent leur place malgré les multiples trahisons et secrets enfouis.
L'écriture de Sara B. Elfgren est addictive et on est rapidement emporté par un tourbillon d'action et d'émotion accentué par le graphisme élégant, inventif et explosif de Karl Johnsson.
Vei est une oeuvre généreuse qui mérite toute votre attention.


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