Virgile ou le saut de l’ange (Alexandre Chardin)

La gémellité a souvent fasciné et parfois inquiété dans le passé. La mythologie, qu’elle soit celtique, greco-latine ou chrétienne, a ainsi raconté des guerres fratricides, notamment celles de jumeaux tels que Romulus et Remus ou Jacob et Esaü. Dans le dernier roman d’Alexandre Chardin, « Virgile ou le saut de l’ange« , aux éditions Magnard, c’est le récit d’un affrontement singulier entre deux frères jumeaux adolescents qui nous est raconté.

Virgile, le Cyclope

Tout commence par une scène de classe : Virgile, un jeune adolescent borgne au bandeau vissé sur l’oeil, rêvasse pendant le cours de français pendant que la professeur évoque Polyphème, le cyclope qu’Ulysse affronte dans l’Odyssée. Alors que tous les regards se tournent vers lui, il lance :

« Vous croyez que je sais pas que vous m’appelez Cyclope ? Rien à cirer d’avoir qu’un oeil. C’est pas un handicap. C’est vous les handicapés. Handicapés du courage ! Bande de lâches, vous osez même pas me regarder en face. »

Faire connaissance avec Virgile, c’est prendre en plein visage sa colère et sa violence. La prof de français en sera pour ses frais. Ses camarades aussi.

Mais malgré cela, malgré sa démarche boiteuse et son oeil orphelin, malgré la peur qu’il inspire à certains, Virgile fascine. D’autant plus que sa situation familiale n’est pas ordinaire. Il a un frère jumeau, Romain, mais ce dernier vit chez son père alors que lui vit chez sa mère. Et Virgile déteste Romain. Viscéralement. AU point de ne jamais mettre un pied dans sa chambre. Au point de ne pas le nommer.

Donc Virgile fascine. Il est d’ailleurs entouré d’une petite bande, parmi lesquels Théo, Pic et Mei. Si leurs relations sont complexes, entre attraction et répulsion, amitié et lutte de pouvoir, ils forment un petit groupe prêt à partir à l’aventure.

Un fort à prendre

Car Virgile a une idée en tête : prendre possession d’un fort abandonné. C’est une ruine entourée de douves à laquelle on n’accède que par bateau. Des légendes courent sur ce lieu mystérieux et il n’en faut pas plus pour faire surgir dans l’imaginaire de la petite bande des images de trésors et de squelettes de prisonniers oubliés.

Mais les motivations de Virgile sont autres : s’il veut faire de ce fort « son » fort, c’est aussi pour y affronter « l’autre », son frère haï, Romain.

Le roman va mettre en scène, petit à petit, l’inévitable affrontement entre les frères ennemis, entourés chacun de leur bande respective. Sauf que, si la haine est le moteur principal de Virgile (on découvrira peu à peu ce qui a fait naitre ce sentiment si violent envers son frère), Romain semble davantage mû par la culpabilité et la résignation.

La conquête du fort abandonné va « agréger » non seulement les morceaux du récit fraternel mais également les loyautés et les trahisons des « amis » des deux frères.

Pourquoi lire Virgile ou le saut de l’ange ?

Ce roman est déstabilisant à plus d’un titre. La relation des deux frères jumeaux est mystérieuse et dure, Virgile portant haut les couleurs de la vengeance, qu’il veut mener jusqu’au bout, à la manière d’un Einar (incarné par Kirk Douglas) que Richard Fleischer mettait en scène dans son film Vikings en 1958.

Les relations entre les amis de Virgile et Romain sont finement peintes par Alexandre Chardin qui a su transmettre tous les enjeux de reconnaissance et de volonté de puissance dans le groupe d’adolescents. Trahison, sauvetage et rédemption sont au coeur de ce roman à la fois violent et touchant.

A la croisée d’un « Ile au trésor » de Stevenson et d’un « Sa Majesté des mouches » de Golding, l’auteur nous entraine dans les méandres de l’âme adolescente.

Alors faites vous aussi le saut de l’ange et plongez !

La très belle illustration de couverture est de Terkel Risbjerg.

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