Flore Vesco est de retour avec De délicieux enfants, un roman choral à la magnifique couverture rouge et noire de Mayalen Goust. Une maison au fond des bois, deux parents et leurs 7 enfants qui souffrent de la famine, un petit dernier nommé Tipou… Nous voilà lancés dans une réécriture du conte du Petit Poucet. Mais n’allez pas croire que tout se déroulera comme vous l’imaginez ! Flore Vesco nous emmène dans les méandres des corps et des coeurs adolescents, de la famille et de la condition féminine. Le tout réhaussé d’une sauce pimentée !
De la chair et du sang
Découvrir un nouveau roman de Flore Vesco, c’est toujours une aventure. Si ses réécritures de contes reprennent certains ingrédients des originaux, c’est pour mieux les arranger et les épicer !
Il faut accepter – et c’est un délice ! – d’être perturbée, bousculée et chahutée par son récit et son écriture.
Mais de quoi s’agit-il au juste ?
Un père attentionné, une mère qui observe ses 7 enfants devenir des adultes, une famille qui lutte contre la famine. Nous sommes bien dans un conte, mais un conte de chair et de sang.
Les premiers enfants sont nés par paires. Seule la dernière est venue au monde seule. C’est Tipou. Solitaire mais aimée, moins de force mais un désir puissant de découvrir le monde de la forêt.
J’aimais écouter la forêt. Papa lui coupait la parole. Autour de la maison, dans les sentiers taillés, c’était sa voix qui dominait.
Les feuilles rouges fléchaient un chemin. Il était peu prudent de le suivre, d’autant que mes cuisses déjà tremblaient. Mais je ne pouvais renoncer à ce naïf espoir : et si cette piste menait à un trésor ? Si, au bout, je découvrais la tanière d’un lutin, ou son butin, ou tout autre prodige qui sauverait ma famille ?
Alors que la famille tente difficilement de survivre à la faim qui les ronge, des garçons perdus toquent à la porte.
Ils sont 7. Le Petit Poucet et ses frères.
Dès lors, la vie dans la maisonnée var être chamboulée. Car ces garçons vont faire peser un regard « masculin » sur celles qui deviennent des jeunes femmes. Et la découverte et la curiosité de ces corps masculins va éveiller des tensions entre celles qui jusqu’ici vivaient en harmonie.
Entre attention, protection et méfiance, le Père et la Mère vont avoir fort à faire car le danger est désormais dans leur maison…
Pupilles et papilles
Revisiter les contes demande un talent certain. Flore Vesco en a, incontestablement, et elle offre, dans ce nouveau roman, de délicieux moments. Sucrés, acides ou amers, mais toujours goûteux.
Son plaisir de jouer avec cette matière première et de la malaxer avec des questionnements contemporains et modernes est visible à chaque page.
Quand ils sont arrivés, humides et tremblants, je n’ai vu que des petits abandonnés. Quand mes filles les ont malmenés, j’ai eu de la peine pour ces grands dadais empotés. Le plus jeune a encore un visage d’enfant. Les ainés sont des ébauches d’adultes. Il leur reste de la route à faire, pour devenir des hommes. Mais cette route, ils l’emprunteront.
Et je sais, alors, de quoi ils seront capables. J’ai grandi en subissant leur joug. Ces bourgeons d’homme font déjà forte impression sur mes filles. C’est un pouvoir grisant, dont j’ai peur qu’ils apprennent à se servir.
Les personnages, tout d’abord, sont travaillés en finesse et surprennent par leur épaisseur. Le personnage de Tipou, associé à celui du Petit Poucet, forment un duo improbable. Ils interrogent sur ce qui se passe au sein de leurs familles. Mais aussi sur la puberté et les violences intra-familiales.
J’ai été particulièrement touchée par le Père également. Par sa vaillance et ses fragilités, dévorant et protecteur à la fois.
L’histoire ne manquera pas également de surprendre. Et l’on retrouve, dans l’écriture de Flore Vesco, le plaisir du détournement, du chemin qui s’écarte vers autre chose que ce que l’on avait envisagé.
De plus, les lecteurs qui aiment sa plume goûteront les petites pépites de mots semées çà et là, et qui ont fait sa marque de fabrique.
Enfin, on appréciera les thématiques abordées, les problématiques posées autour des liens familiaux, de la puberté ou du féminisme. Un vrai manifeste qui redonne au conte toute sa puissance : « Il ne faut pas manger pour vivre, mais vivre pour manger le monde !«
Pourquoi lire De Délicieux enfants ?
Flore Vesco se nourrit, une nouvelle fois, des contes traditionnels pour en extraire une gourmandise complexe, à la fois douce et amère. L'histoire, pleine de surprises, invite à plonger au cœur des liens familiaux et de cette période charnière qu'est celle de l'adolescence et des corps qui fleurissent. Son écriture vive et acidulée met en scène des personnages aux caractères épicés, qui interrogent notre relation au monde et à ce qui nous pousse à vouloir dominer ou être libre.
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