Un vaisseau spatial apparait au-dessus de Tokyo et attise les pires craintes.
Mais au bout de 3 ans, aucune invasion n’est lancée et la vie reprend son cours.
Kadode, Ôran et leur groupe d’amies lycéennes font face à des préoccupations de leur âge sans forcement se rendre compte que le danger, quoiqu’inerte, est toujours présent.
Une pure oeuvre de science-fiction d’Inio Asano
L’inconnu au-dessus de nos têtes
La S.F., ça ne marche pas.
Cette phrase tirée du dernier tome et déclamée par un mangaka a de quoi faire sourire.
La science fiction a longtemps été un genre majeur du manga en accueillant des oeuvres cultes, qui encore aujourd’hui, font office de modèles.
Les rééditions récentes d’Eden ou de Planètes en sont des preuves flagrantes.
Pour Inio Asano, plutôt spécialiste d’oeuvres intimistes et réalistes, c’est une première.
Ce qui fascine d’emblée dans Dead Dead Demon’s est cette idée qu’on peut continuer de vivre sa vie sans se rendre compte de la menace qui plane au-dessus de notre tête.
Pire, on en a conscience mais comme rien n’arrive, on s’habitue à sa présence.
Jusqu’au jour où…
En effet, la présence de cet imposant vaisseau mère n’a aucun objectif clair.
Est-il un danger ? Faut-il s’en méfier ? Ou protéger ce qu’il apporte ?
Telle est la question et les avis divergent.
Avec Inio Asano, la science fiction n’est pas qu’un simple prétexte et s’il aurait pu très bien se contenter de la présence de ce vaisseau et de broder autour, il préfère utiliser les codes du genre en les rendant de plus en plus importants au fil des volumes.
Bataille de robots, extraterrestre camouflé, voyage temporel et terre alternative, le manga ne s’interdit aucun délire, ce qui rend l’univers de Dead Dead Demon’s riche et généreux.,
D’une certaine façon, avec cette série, Inio Asano prouve qu’on peut encore écrire de grandes sagas de science fiction tout en proposant une véritable réflexion sur la société.
Une réflexion qui vire à la critique de son pays après les évènements de Fukushima.
La science fiction pour critiquer le Japon post-Fukushima
L’auteur ne s’en est jamais caché.
Le vaisseau qui surplombe Tokyo symbolise la centrale nucléaire de Fukushima.
Une fois que l’on sait cela, une bonne partie des clés du manga se dévoilent d’elles-mêmes.
Que ce soit ce sentiment d’un danger présent mais invisible, les réactions diverses et variées de la population à ce sujet ou les manigances des politiciens japonais, tout amène au drame dont on connaît forcement les répercutions.
Mais Inio Asano ne se contente pas de montrer la catastrophe sous un autre angle.
En bon explorateur de l’âme humaine, il s’intéresse au vécu de la population et à comment les avis et les positions ont nourri leurs réflexions.
L’ignorance du danger côtoie la peur paranoïaque.
L’un comme l’autre s’avèrent néfastes et amènent forcément l’être humain à la catastrophe.
Le danger grandissant impacte de plus en plus la trame du récit ainsi que le quotidien de nos lycéennes qui vont être amenées à faire des choix et à prendre des décisions qui ne sont pas toujours en accord avec l’ensemble du groupe.
Cette division va s’avérer encore plus prégnante quand le vaisseau va laisser s’échapper de sa carcasse des petits êtres qui, à première vue, semblent inoffensifs.
Si certain.es, comme Kadode, vont les accueillir, d’autres décideront de les pourchasser pour éliminer la menace potentielle.
Et cette extermination tourne à l’extrémisme.
L’horreur saute d’autant plus au visage que ces « créatures » ont un physique assez proche de celui d’un jeune enfant.
La paranoïa nous fait commettre les pires des atrocités.
Chronique de l’adolescence japonaise
En dessous de cette immense vaisseau, vit un groupe de lycéennes.
Dead Dead Demon’s, c’est aussi leur histoire et notamment, celle de deux d’entre elles : Kadode et Ôran.
Kadode est une jeune fille introvertie et amoureuse, en secret, de son professeur de mathématique.
Ôran, sa meilleure amie, est tout le contraire . Excentrique, voire complètement folle, le caractère énergique de la jeune fille contraste fortement avec la passivité de son amie.
C’est ensemble et à travers leur amitié qu’elles vont pouvoir traverser les épreuves auxquelles elles vont être soumises.
C’est aussi un éloge du groupe.
Si on regarde bien les couvertures de Dead Dead Demon’s, chacune d’entre elles rend hommage à un des membres de ce groupe de lycéennes.
Et c’est une des grandes forces d’Inio Asano, son intérêt pour la psychologie humaine le pousse à développer son propos et à ne pas rester focalisé sur nos deux héroïnes (qui restent malgré tout le noyau du récit).
Car si Kadode et Ôran sont les éléments centraux du manga, l’auteur n’oublie pas les autres personnages en leur donnant des rôles primordiaux, quitte à éclipser nos deux lycéennes.
L’adolescence est une période de transition, entre l’enfance et le monde adulte, qui a servi de sujet à nombre de ses mangas.
On y retrouve tout ce qui fait la vie d’une lycéen.ne : vie de famille, premier amour, amitié contrariée, études.
Une vie bien remplie mais au final assez banale qui contraste avec l’extraordinaire situation trônant au-dessus de leurs têtes.
Le style d’Inio Asano : un dessin réaliste aux personnages incongrus
Dead Dead Demon’s est, de l’aveu même de son auteur, un de ses travaux les plus aboutis.
Si on y retrouve un certaine cohérence avec ses oeuvres précédentes, notamment dans l’attrait d’un réalisme de fond assez impressionnant, Inio Asano a amené certaines évolutions à son graphisme.
En effet, si au niveau des décors, on retrouve une finesse et un réalisme absolument fascinants (épaulé d’ailleurs par l’outil informatique), c’est dans sa conception des personnages qu’il étonne réellement.
Beaucoup plus ronds, à la limite du « Kawai » , leur design détonne face à l’environnement réaliste dans lequel elles vivent.
Leurs expressions sont simplifiées et l’exagération de certaines anatomies (nez prohiminants, yeux qui louchent ou dents écartées) donnent une impression cartoonesque à l’ensemble.
Cela pourrait paraître disgracieux mais l’ensemble fonctionne à merveille, sans doute grâce à un encrage qui mêle masses de noirs et multiples traits fins amenant de la richesse dans les textures.
Cette originalité et ce décalage étaient déjà présents dans l’oeuvre précédente de l’auteur, Bonne nuit Punpun, mais ici, ils sont poussés à leur paroxysme et deviennent une véritable marque de fabrique.
En résumé
Dead Dead Dead Demon's dedede destruction est une pierre à ajouter dans les oeuvres majeures de la science fiction japonaise. Pour son premier essai, Inio Asano revient, à sa façon, sur la catastrophe de Fukushima en l'englobant à une chronique adolescente dont il a le secret. Absolument magnifique, le manga nous tient en haleine tout au long des 12 tomes et nous amène à nous poser cette question : " Comment nous comporterions-nous avec une menace potentielle au-dessus de nos têtes ? " La réponse est claire : nous continuions à vivre
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