Alors que les barbares saxons envahissent l’île de Grande Bretagne, une rumeur fait état de la mort de Merlin.
Le redoutable sorcier breton se serait réincarné dans un nouveau-né, provoquant l’embrasement sur l’île.
3 clans entrent en scène.
Alors que les saxons et les bretons catholiques veulent éliminer la menace, les derniers bretons païens espèrent le ramener vivant à Avalon.
Bien loin de toute cette agitation, Eigyr ne se doute pas que l’enfant qu’elle porte peut changer le destin de son pays.
Une histoire intimement liée à la légende
Une époque troublée
L’intrigue d’Eigyr de Damien Colbor, épaulé par Jérôme Hamon, se déroule dans une Angleterre en proie aux invasions barbares.
La désunion des différents clans fait que l’île de Grande Bretagne se retrouve petit à petit grignotée de toutes parts, laissant aux bretons un territoire de plus en plus réduit.
On appréciera d’ailleurs la carte qui ouvre l’album et résumant assez bien la situation.
Dès l’introduction d’Eigyr, les auteurs mettent en scène les ravages de cette invasion.
Violences, meurtres et morts d’innocent.es touchent tous âges et tous sexes.
Si on ajoute à cela la réincarnation de Merlin, plus rien n’arrête ces guerriers aux croyances païennes.
Cette rumeur apporte l’excuse nécessaire pour exercer la terreur sur une population qui n’en demandait pas tant.
Jérôme Hamon et Damien Colboc décrivent ainsi une période historique trouble où la violence fait partie du quotidien des habitant.es.
La prise de territoire se veut définitive.
Et il est hors de question pour les saxons de laisser un vestige de cette culture survivre, même si l’enfant n’est même pas né.
Utilisant la légende arthurienne comme toile de fond, les auteurs ne cherchent pourtant pas à dériver d’une réalité historique.
Comme si la légende était intimement liée à la réalité.
Cette lutte pour y mettre un terme n’est que l’aspect d’une puissance qui cherche à prendre le dessus sur une autre.
Pour les saxons qui pourchassent Eigyr, le plus important est d’éliminer celui qui pourrait mettre fin à leur invasion.
Qu’il soit Merlin ou un simple enfant, peu importe si cela brise les croyances et possibles unions de peuples qui peuvent en découler.
Une religion en proie au doute
Si la Grande Bretagne résiste peu aux attaques barbares, c’est en partie à cause d’une désunion profonde entre 2 croyances : paganisme et chrétienté.
Malgré tout, le christianisme prend de plus en plus la main sur les esprits.
Finis Avalon et ses sorciers, c’est le Christ qui sauvera le peuple anglais.
C’est pour cette raison qu’ils se lancent eux aussi à la pourchasse d’Eigyr et de son enfant.
D’une certaine façon, croire en Merlin c’est remettre en cause la religion chrétienne.
Et les croyants ne connaissent qu’une punition : le bûcher.
À cet égard, Calum est un personnage intéressant car complexe.
Profondément croyant, il ne comprend pas la radicalité des membres de sa foi.
Il ne peut s’empêcher de réfléchir et cette réflexion amène obligatoirement le doute.
Cependant, ce n’est pas sa foi qu’il remet en cause, cela n’aurait aucun sens à cette époque, mais plutôt les agissements des hommes qu’ils considèrent comme ses « frères ».
Faisant preuve d’un humanisme constant, il se montre bien plus tolérant envers son prochain.
Cette force de caractère le rend, d’un certaine façon, supérieur aux autres chrétiens mais aussi à son alliée Steren, elle aussi enfermée dans ses propres croyances.
Au final, peu importe pour Calum qu’Eygir soit la mère ou non de Merlin, c’est avant tout un être humain qui ne mérite pas de terminer sur le bucher.
D’ailleurs, lui-même est un être humain qui lutte difficilement contre ses sentiments et l’attachement de plus en plus fort qu’il porte à la jeune femme.
Sa chute aurait pu être facile mais c’est par sa résistance qu’il montre la richesse de son âme.
À sa façon, il devient le lien entre la légende et le christianisme.
Si Damien Colboc et Jérôme Hamon dénoncent le poids des croyances , ils ne renient pas une forme de réalité liée intimement à l’histoire d’un peuple.
À ce niveau, la fin, aussi inattendue soit-elle, en est la parfaite expression.
Un dessin sobre mais efficace
La couverture de l’album est plutôt attirante mais elle ne reflète pas vraiment le travail de Damien Colboc.
Avec Eigyr, il signe un premier album solide.
Au niveau du style, on retrouve une patte graphique proche de Michaël Sanlaville.
Entièrement numérisé, le trait est sobre, les lignes sont fluides et l’encrage amène de la puissance et du volume quand les scènes l’exigent.
La couleur rehausse l’ensemble en multipliant les ambiances, tout en conservant sa simplicité et son efficacité.
La narration échappe à une forme de classicisme et les différents agencements de cases apportent une diversité appréciable.
Les scènes de combat, quoique rares, restent parfaitement chorégraphiées et lisibles.
Si on aurait aimé un peu plus de précisions, notamment dans les décors, on appréciera le soucis qui a été apporté aux expressions, élément fondamental pour s’attacher aux personnages.
Le dessin de Damien Colboc n’est donc pas des plus originaux mais il est assez maitrisé pour soutenir la puissance du récit.
En résumé
Eigyr de Damien Colboc et Jérôme Hamon réussit la parfaite fusion entre la légende arthurienne et la réalité historique d'une époque trouble.
Plus qu'un énième récit fantastique, les auteurs nous poussent à réfléchir sur le concept de croyances et comment celles-ci peuvent amener aux actes les plus horribles.
À travers leur récit, ils mettent en scène des personnages attachants et profondément humanistes.
Le dessin de Damien Colboc, simple et efficace, illustre cette histoire avec une délicatesse teintée d'une violence brève mais brutale.
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