Le duo Appollo-Tehem est de retour, 6 ans après Chroniques du léopard. On les retrouve dans un récit de fiction historique autour de la journée du 20 décembre 1848, date de l’abolition de l’esclavage à La Réunion. Mais Vingt Décembre, puisque c’est son titre, n’est pas qu’une date essentielle. C’est également le nom que revendique Edmond Albius, un jeune esclave de Sainte Suzanne, également inventeur de la méthode de fécondation de la vanille. La vie simple mais si symbolique d’un homme né esclave et qui mourra libre.
Chroniques de l’abolition, chroniques d’une vie
Sainte Suzanne, La Réunion, 1841.
Edmond, 12 ans, est le jeune esclave de la famille Bellier-Beaumont. Le « gâté », comme le dit lui-même Ferréol Bellier-Beaumont, accompagne depuis son enfance son maître dans ses travaux d’horticulture. Il a appris la science des plantes. Et a découvert seul un procédé de fécondation de la vanille qui lui vaut d’être envoyé dans les différentes propriétés pour faire montre de sa technique. Celle-là même qui apportera richesse et prospérité à l’île.
Paris, 27 avril 1848.
Le décret du Gouvernement provisoire du 4 mars 1848 précise que « nulle terre française ne peut plus porter d’esclaves ». Désormais, l’abolition s’applique dans toutes les colonies et possessions françaises.
C’est au début de cette même année 1848 que commence le chapitre I de Vingt Décembre. Edmond est toujours esclave. « Il ne sait ni lire ni écrire mais connait toutes les plantes. » Alors qu’il accompagne Grand-Patte, un petit blanc sans esclave, pour un combat de coqs, il retrouve Marianne, une jeune esclave lingère. Celle-ci le tient au courant de la révolution qui court en Métropole. Ensemble, ils rêvent de liberté et d’avenir.
Il rencontre aussi Héry, un marron, c’est-à-dire un fils d’esclaves enfuis, né libre dans les hauteurs. Il croisera également deux dessinateurs, Roussin et Potémon. Ils croquent pour La Lanterne magique, une publication illustrée, des scènes quotidiennes de La Réunion.
Chacun, à sa manière, va porter un regard personnel sur les événements qui vont advenir cette même année. Et surtout sur les conséquences de l’abolition de l’esclavage dans l’île Bourbon.
Car, si l’album se construit autour de la date du vingt décembre, en 5 chapitres, Appollo et Tehem nous racontent aussi comment la vie des réunionnais va changer. De tous les habitants, des anciens esclaves aux premiers libres. Des grands propriétaires blancs aux nouveaux exploités, venus d’Inde ou d’Afrique. Avec le personnage d’Edmond toujours en fil rouge. Lui qui ne connaitra que bien tard la reconnaissance de sa découverte.
Fragments d’époque, fragments de vies
Vingt décembre est un très bon album à plus d’un titre.
D’abord, évidemment, pour la mémoire de cette période historique méconnue de l’abolition de l’esclavage à La Réunion. Appollo et Tehem indiquent d’ailleurs dans un dossier documentaire en fin d’album quelques unes des sources et des documents qu’ils ont pu consulter lors de leur résidence aux Archives départementales. On découvre ainsi des éléments originaux qui rendent cette période de décembre 1848 bien plus humaine et incarnée. En effet, alternent les moments de joie de la population affranchie, mais aussi l’inquiétude. Le manque d’argent et de travail, la pauvreté. Le départ de la population libre vers les villes et l’arrivée des travailleurs engagés venus des Indes pour remplacer les esclaves dans les champs. La soif de vengeance des anciens esclaves et le confort des riches propriétaires indemnisés par l’Etat.
De plus, et c’est là aussi que le duo fonctionne à merveille, les dessins fluides et colorés de Tehem apportent une douceur et une simplicité au propos et au scénario d’Appollo, même dans les moments les plus violents.
En suivant le parcours de vie d’Edmond, mais aussi ceux de Marianne et d’Héry, le duo nous offre une mosaïque de points de vue, multiple et juste. Il permet d’embrasser toute la complexité d’un tel changement dans une société.
On appréciera aussi le clin d’oeil parfois satirique et la reconnaissance du travail des deux dessinateurs témoins de cette transformation, Potémont et Roussin. Mais aussi de Sarda-Garriga, le commissaire général chargé de mettre en application le décret d’abolition dans l’île, souvent en décalage avec la situation.
Pourquoi lire Vingt Décembre ?
Avec Vingt Décembre, Appollo et Tehem se retrouvent pour nous offrir un récit à la fois historique et humain autour de l'abolition de l'esclavage à La Réunion. En suivant le parcours d'Edmond, un jeune esclave brillant, découvreur à 12 ans du procédé de fécondation de la vanille, puis homme libre se débattant pour échapper à la pauvreté, dans une société en pleine mutation qui cherche ses nouveaux repères, les lecteurs découvriront un pan de l'histoire, méconnu et complexe. La vie de cet homme simple, ni héros ni combattant, mêlée à celles de celles et ceux qui ont fait La Réunion.
Pour lire nos chroniques d’Atar Gull et Alma
Cette BD a l’air vraiment sympa ! Je ne connais rien à cette période de la Réunion mais la manière dont les auteurs se sont documentés donne envie de découvrir cette partie de notre histoire ! Merci pour cette chronique très complète.
C’est une chouette bd, à la fois documentée et humaine. J’aime le parti pris du point de vue de cet homme simple qu’est Edmond.