Suresh, Jayesh et Chasma sont 3 amis dont la vie gravitent autour d’un mur décoré d’un magnifique graffiti réalisé par Suresh.
Animés chacun par une passion, leurs destinées se heurtent à la réalité de la société indienne.
La vision indienne de Ram V
Une oeuvre à part dans une production massive
Depuis ses débuts, Urban Comics privilégie une politique tournée vers les auteurs.
Pendant longtemps, elle s’est concentrée sur les grands noms du média.
Mais elle cherche désormais à offrir un véritable éclairage aux nouveaux talents dont regorge la bd américaine.
C’est ce qu’ils ont fait récemment avec Ram V,.
L’ auteur s’est déjà fait remarquer avec l’excellent Laila Starr accompagné de Felipe Andrade aux dessins.
Or, si la période de juillet est traditionnellement avare en sorties, l’éditeur français a sans doute un peu poussé le bouchon en publiant pas loin de 4 nouveautés consacrées au scénaristes.
Des oeuvres allant du plus mainstream Batman Nocturne aux plus indépendants avec Grafity’s Wall.
À une époque où le prix de la bande dessinée ne cesse de grimper et où faire des choix devient nécessaire pour éviter de se faire rappeler à l’ordre par son banquier, il est primordial de se poser cette question : « Et si nous devions n’en garder qu’un ? »
À première vue, Grafity’s Wall ne risque pas d’attirer un large public.
Celui-ci se repliera sans doute sur du Batman voire sur le Andromeda qui jouit d’une belle réputation.
Et pourtant, ayant lu 3 titres de cette sélection, une chose est évidente.
Grafity’s Wall se démarque autant par la justesse de l’écriture de Ram V que par l’originalité du traitement graphique d’Anand RK.
Une jeunesse contrariée mais passionnée
Originaire de MumbaÏ, Ram V présente l’Inde dans la grande majorité de ses récits.
Mais avec Grafity’s Wall, il abandonne toute caution fantastique pour se consacrer à 3 jeunes indiens (auxquels on rajoutera un 4eme personnage que je vous laisserai découvrir) aux caractères bien différents.
Tout commence avec Suresh.
Obsédé par le graffiti, il peint partout, avec ou sans autorisation. Et selon ses propres dires, c’est bien plus amusant quand l’endroit est interdit.
C’est d’ailleurs de cette façon qu’est introduit le personnage, lors d’une scène qui rappelle immanquablement l’introduction de Slumdog Millionnaire, sans pour autant tomber dans le grandiloquent du film de Danny Boyle.
Peut être parce que, contrairement au réalisateur anglais, Ram V sait de quoi il parle.
D’ailleurs, lors de la scène entre Suresh et son père, on ne peut que se demander ce que le scénariste a lui même vécu en tant qu’indien et futur auteur de comics.
« Tu sais, je poussais la chansonnette, dans ma jeunesse. J’avais du coffre.
— Le père de Suresh, après avoir jeté le carnet de croquis de son fils par la fenêtre.
Quand j’ai débarqué ici, à quatorze ans, je voulais devenir chanteur. Rien que ça !
Plus tard, Suresh, tu comprendras. On finit tous par faire des sacrifices. Surtout quand on a des gosses »
Des sacrifices, si Jayesh doit en faire, cela sera au profit de sa passion.
Rappeur amateur, il rêve de fouler les salles de concert quitte à se salir les mains pour y parvenir.
Jayesh est sans doute la personnalité la plus complexe du trio.
Protecteur de Suresh, moqueur vis à vis de Chasma, il est celui qui, dans les faits, a le moins de chance d’y arriver.
Il n’a pas le talent de Suresh, ni la condition sociale de Chasma.
Il est conscient que pour parvenir à ses objectifs, il doit emprunter un chemin plus obscur.
Chasma est le plus « nerd » du lot. Le garçon est à part. Il veut devenir romancier et sa vie tourne autour des lettres qu’ils donnent à toute personne, connue ou inconnue, qu’il croise.
Faussement effacé, il se montre plus courageux qu’on l’imaginait et se retrouvera, d’une certaine façon, mêlé aux changements qui vont frapper le groupe d’amis.
L’originalité d’un dessin aux multiples croisements
Anand RK fait un peu figure d’inconnu.
Pourtant, l’auteur a déjà été publié en France, une nouvelle fois accompagné par Ram V sur l’étrange Blue in Green.
Et on peut dire que son style graphique entre ces deux albums est méconnaissable.
Si sur Blue in Green, on retrouvait une technique qui rappelle celle de Bill Sienkiewitcz, avec Grafity’s Wall, on est sur une vision plus iconoclaste.
Datant de 2018, alors que Blue In Green date de 2020, on pourrait se dire que l’auteur tâtonnait encore.
Et pourtant, quelle richesse graphique !
Son trait est une sorte de fusion entre du Taiyou Matsumoto, Moebius et le regretté Jason Pearson.
Le trait se veut fluide, détaillé, réaliste et pourtant marqué par la simplicité, voire l’économie du trait.
A l’image des grafitis de Suresh, on retrouve une véritable ambition artistique à travers les planches d’Anand RK .
Malgré tout, on regrettera une mise en couleurs terne, qui par moments (notamment les scènes de foule), ne va pas faciliter la lecture.
Reste que l’ensemble est absolument magnifique.
S’il demande au lecteur.rice de laisser de côté certaines habitudes, ce n’est que pour nous offrir un album marquant par son aspect unique.
Ps : Urban, malgré des changements inhérents à la traduction, a eu la courtoisie de nous donner un aperçu de l’excellent lettrage manuel d’Aditya Bidikar.
Une preuve de plus que ce comics ne cherche pas à faire comme les autres.
En résumé
Grafity's Wall du duo Ram V et Anand RK marque autant par la justesse de son propos que par la richesse de son dessin.
Ram V explore une nouvelle fois la société indienne tout en montrant une jeunesse passionnée et moderne mais paralysée par les contraintes et les jugements d'une société en pleine évolution.
Anand RK étonne par un style aux multiples influences qui a su capter la richesse de ces 3 gamins dans l'immensité de la foule indienne.
Un album au propos simple mais qui cache une véritable ambition que l'on retrouve jusqu'au lettrage personnalisé d'Aditya Bidikar.
A découvrir absolument.
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