Mots Tordus et Bulles Carrées

Human Target (Tom King / Greg Smallwood)

Christopher Chance est une cible vivante.
As du déguisement et de l’appropriation d’identité, on l’engage pour mettre à jour de potentielles agressions.
C’est ainsi qu’il travaille pour Lex Luthor, multimilliardiaire égocentrique.
La journée a commencé par un petit verre et s’est terminée par une arrestation somme toute banale pour Chance.
Mais une toux persistante l’amène à consulter et le pronostic ne fait aucun doute : il a été empoisonné.
Un poison destiné à Luthor qui ne lui laisse plus que 12 jours à vivre.
Il aurait pu profiter de ce laps de temps pour trouver un remède, prévenir ses proches.
Mais ce n’est pas dans ses habitudes.
Christopher Chance veut démasquer le coupable et sa route l’amène, à son grand désarroi, vers une équipe de super héros : La Justice Ligue Internationale.

Un course contre la mort

Un monde de super-héros

Un meurtrier parmi les héros ?

Relancé une première fois par Peter Milligan et Javier Pullido, Human Target était un comics traitant de la psychologie complexe et torturée de son personnage principal.
Jouant astucieusement avec les multiples identités de Christoper Chance, Peter Milligan avait fait de cet homme un véritable métamorphe l’amenant à douter de sa propre identité.

Tom King choisit une toute autre approche.
Habitué des récits mettant en scène des personnages secondaires tels que Mister Miracle ou Adam Strange, le scénariste décide en premier lieu d’intégrer totalement Christopher Chance à l’univers de Dc Comics.
En vérité, Christopher Chance n’est pas un super héros. Il le répètera d’ailleurs régulièrement au cours du récit.
Mais ce monde ne lui est pas totalement inconnu.
Quand il a un contrat, c’est Lex Luthor qui l’engage.
Quand il a besoin d’un médecin, il va voir du côté de Docteur Midnight.
Du coup, il est presque évident que sa dernière enquête l’amène à côtoyer ces personnages hauts en couleur et à la moralité pas si propre que cela.

Pour le coup, Tom King décide de laisser un peu de côté son aspect Human Target.
Son identité est bien installée et il se servira de ses dons, avant tout pour l’avancement de son enquête.
Ainsi Human Target n’est plus un récit psychologique tortueux mais un polar romantique dans la tendance de certains films noirs.
Christopher Chance devient un enquêteur sentimental qui n’hésite pas à jouer des poings si le besoin s’en fait sentir.
Et vous imaginez bien que cela va arriver souvent, surtout face à certains énergumènes.

Pour aborder ce monde, il lui fallait une guide prestigieuse.
Tom King s’est montré, à l’image d’un Greg Rucka, un véritable passionné de la gente féminine, leur offrant très souvent des rôles de femmes fortes et ambitieuses avec une légère tendance à la manipulation.
Et Ice a le profil adéquat.
Membre de la Justice Ligue Internationale, c’est elle qui amène le détective vers une piste peu prévisible.
Parmi les membres de son équipe se trouve le coupable et elle veut l’aider à le démasquer.
Cette version de la Justice Ligue a eu son heure de gloire sous les crayons de J.M. Dematteis et le regretté Keith Giffen se démarquant de son ainé par des personnages atypiques et une ambiance portée sur la rigolade.
Si la vision de Tom King se veut respectueuse ( on pense à Booster Gold ou Blue Beetle ), il n’hésite pas à égratigner l’image bien lisse de certains super héros.
C’est le cas du Limier Martien mais surtout de Guy Gardner.
Si le premier est complètement sous l’emprise d’une femme, le second veut s’imposer, quitte à harceler celle qui l’aime.

Amour, mort et jalousie

Une rencontre amoureuse ?

Christopher Chance se lance donc dans une course contre la montre qui lui laisse 12 jours pour trouver ce mystérieux empoisonneur.
12 jours pendant lesquels il enquête, se bat mais tombe aussi amoureux.
Et quand on voit la première apparition d’Ice , on se demande même comment il pourrait en être autrement.
Jusque là, Tom King avait mis en scène des couples à l’image de Mister Miracle et Big Barda ou Batman et Catwoman.
Avec Human Target, il crée une toute nouvelle romance.
Ice est une femme moderne, séductrice mais sûre de ses choix et de ce point de vue, Christopher Chance l’a bien cernée.
Mais il accepte de se laisser prendre au jeu.
Est-ce l’approche de la fin qui l’amène à se laisser aller ? Sans doute mais tout part d’une sincère attirance.

Car tout tourne autour de la super-héroine .
L’amour, la mort mais aussi la jalousie.
Guy Gardner était en couple avec elle et n’accepte pas cette nouvelle relation, pensant que la jeune femme lui est redevable.
À travers ce « héros », Tom King décrit le comportement d’un mâle toxique, jaloux et omniprésent dans la vie de son ex.
Le jugement est sévère mais trouve son origine dans les fondements même du personnage.
En effet, derrière cette image de rebelle, Guy Gardner fut le symbole du beauf par excellence, dragueur à l’excès et lourd en toute occasion.
Au final, l’approche de Tom King se veut plus en accord avec l’évolution de notre socièté, allant d’ailleurs jusqu’à un extrême aussi surprenant que déroutant.

L’amour est intimement lié à la mort dans Human Target.
Et Tom King n’hésite pas à aller jusqu’au bout de son concept, nous laissant croire au pire et amenant son couple vers des solutions qu’on n’aurait jamais imaginées possibles dans un comics de super-héros.

Une empreinte graphique unique

Simplicité et efficacité

Chaque récit du scénariste est accompagné d’une prestation graphique réjouissante.
Et celle de Greg Smalwood sur Human Target est assez décapante.

Découvert sur la série Moon Knight aux côtés de Jeff Lemire, le dessinateur est de retour avec un style toujours aussi personnel.
Son trait charbonneux donne une texture tantôt puissante, tantôt délicate à ses personnages.
Si la mise en page reprend une partie des codes narratifs instaurés par Tom King lui-même (répétition de plans …), elle est aussi marquée par un nombre conséquent de gros plans laissant une place prédominante aux émotions, tout en délaissant les décors inutiles, hors mise en place.
Les scènes d’action se font rares, se résumant à quelques bagarres d’égo à coups de bourre pifs exutoires.

Les couleurs ont une place prédominante dans la charte graphique de Greg Smallwood.
Elles apportent une luminosité quasi géométrique et une douceur plaisante à un ensemble graphique maitrisé de bout en bout.

Si on sent que l’auteur s’essouffle sur certains chapitres, c’est pour mieux exceller sur d’autres.
Greg Smallwood fait partie de ces dessinateurs qui, au final, font beaucoup avec peu.

En résumé

Human Target est la dernière performance de Tom King. 
Accompagné cette fois-ci du trait charbonneux de Greg Smallwood, le scénariste met en scène une enquête sur fond de crime super héroïque, teintée de romance voilée par l'ombre de la mort.
L'oeuvre n'hésite pas à se montrer grinçante vis à vis de certains super héros, tout en s'appuyant sur un corpus déjà bien établi.
Fidèle à l'histoire de DC comics, il n'est en aucun cas un handicap pour apprécier une intrigue qui lorgne plus vers le polar psychologique que le récit super-héroïque.

Prix et récompenses

  • Eisner Awards 2023 – Meilleure série limitée

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Bulles carrées

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