Jim Sargent dit « Sarge » est un flic à l’ancienne qui n’a pas la langue dans sa poche, loin de la consensualité de la socièté américaine moderne.
Réputé raciste, homophobe, le voilà arrivé au jour tant redouté : la retraite.
Son fils Michaël, avec qui il n’a que peu de rapports, arrive avec toute sa famille pour fêter l’évènement.
Mais le futur retraité a une toute autre idée en tête et il l’embarque, bien malgré lui, dans une enquête qui le hante depuis des années.
Une dernière affaire qui sert excuse pour évacuer les « non dits » pourrissant cette relation père/fils.
Une dernière affaire avant la retraite
Un flic à l’ancienne
Immortal Sergeant est le nouveau bébé inattendu de Joe Kelly et Ken Niimura.
I kill Giants, leur précèdent ouvrage, était un magnifique alliage de fantastique, d’action, cachant une boule d’émotion absolument déchirante.
Et bien Immortal Sergeant, c’est exactement cela tout en étant autre chose.
Prenant sa source dans sa propre relation avec son père défunt, Joe Kelly imagine un intrigue familiale sincère, drôle et attachante.
Et qui de mieux que Jim Sargent pour représenter cette figure paternelle ?
Il faut avouer que le futur retraité a du caractère et n’est pas du genre à mâcher ses mots.
Or, quand il prend la parole, l’homme n’a pas vraiment de limite, quitte à mettre mal à l’aise son entourage avec une énième blague homophobe.
Sarge, c’est peu le vieil oncle qui raconte des anecdotes absolument pas adaptées à ton fils de 4 ans parce que bon … c’est drôle.
Et effectivement, on se marre souvent de ce manque de tact absolument assumé par le bonhomme.
Il est, en quelque sorte, le dernier vestige d’une époque révolue.
Et c’est bien ce qui agace son fils, Michaël.
Si Sarge s’exprime sans ménagement, son fils reste plus prudent et symbolise, d’une certaine façon, l’époque consensuelle dans laquelle on vit.
Leur discussion sur les préjugés contre les mexicains en est d’ailleurs un parfait exemple.
Cependant, cette divergence de point vue cache un mal plus profond.
Les deux hommes ont pris l’habitude de ne plus vraiment communiquer.
Depuis son divorce, Sarge vit seul avec son monstre, une Cadillac qu’il chérit comme la prunelle de ses yeux.
Alors quand son fils arrive avec toute sa famille, cela demande des concessions qu’il n’a pas envie de faire.
L’homme est obtus et sûr de lui.
Ce qui l’amène à s’attirer des ennuis et à mettre en danger un fils qui n’a pas demandé à être embarqué dans une vieille obsession de flic.
Persuadé que son père a besoin de lui, Michaël le suit mais ne mettra pas longtemps à regretter sa bonne action.
Un homme complexe hanté par son passé
Derrière l’image rétrograde de Jim Sargent se cache un secret inavouable.
Sans en dévoiler plus, Joe Kelly raconte qu’il a toujours vu son père comme un homme triste.
Leur vie a été marquée par un évènement, le même qui lie ses deux personnages, qui n’a eu de cesse de parasiter leur relation.
Si Joe Kelly a eu le temps de faire la paix avec son père, l’abcès entre Sarge et Michaël est loin d’être percé.
L’enquête, dans laquelle il l’embarque, dépasse le cadre de l’affaire non résolue.
Derrière, le vieux flic cherche à s’absoudre d’un échec intimement lié à sa vie personnelle et, d’une certaine façon, il croit qu’en réglant l’un, il pourra régler l’autre.
Même si pour cela, il est prêt à commettre l’irréparable.
Cela fait partie des incohérences du personnage.
On le dit raciste car :
« Quand une minorité des citoyens commet une majorité des crimes… Bah je les considère plus comme des « citoyens ». »
— Sarge
Pourtant, il n’hésitera pas, à sa manière, à éviter à une jeune fille noire une tentative de suicide probable.
On le dit homophobe mais il a su garder de bons rapports avec son ex qui l’a quitté et s’est mis en couple avec… une femme.
C’est sans doute cela qui fait que, malgré toute cette façade antipathique, on s’attache assez rapidement à ce personnage atypique.
Sarge est complexe, contradictoire mais profondément humain.
D’ailleurs, vous risquez d’être surpris par l’émotion inattendue qu’il pourra provoquer en vous lors de votre lecture.
Le style aride de Ken Niimura
Soyons honnête, vous n’achèteriez pas Immortal Sergeant pour le dessin.
À moins d’avoir déjà appréhendé le trait de Ken Niimura avec I Kill Giants, il y a de fortes chances que vous passiez à côté de ce livre après une feuilletage rapide.
Et ben, vous commettriez une belle erreur.
Si l’auteur a fait certains progrès, notamment en terme d’encrage, on ne peut pas dire que ses choix artistiques sont dans la mouvance actuelle.
Enfin, pour du comics.
Car si on achète en majorité du manga, on appréciera le trait incisif et particulièrement dynamique du dessinateur espagnol.
Comme pour I Kill Giants, le choix de la trame a été choisi pour correspondre à un visuel simple, mais terriblement efficace pour traiter, non sans humour, les exagérations expressives de notre pauvre Michaël.
À ce niveau, le design de Sarge n’est pas en reste.
Le sourire narquois et les dents pointues réussissent à créer, en quelques coups de crayon, un personnage abouti et fascinant.
Apparemment, ce travail de recherche a été plus difficile pour Michaël mais le final permet la création un duo aussi hilarant qu’attachant.
Derrière cet aspect faussement simpliste, Ken Niimura se cache une maitrise narrative absolue, des designs travaillés et une efficacité stylistique à toute épreuve.
En résumé
Immortal Sergeant de Joe Kelly et Ken Niimura sera sans doute mon dernier coup de coeur comics de 2023. Si, a priori, l'intrigue et le dessin ne paient pas de mine, les auteurs d'I Kill Giants récidivent avec un mélange astucieux de polar et d'une réflexion atypique sur la relation père /fils. Une relation mise en parralèlle avec cette dernière enquête, reflet d'un échec et d'un secret inavoué. Sarge marque autant pour son côté Bad Ass que par cette humanité qu'il essaie de cacher derrière des préjugés d'un temps où les flics avaient comme modèle Dirty Harry. Joe Kelly démontre une nouvelle fois un talent tout particulier pour capturer la nature humaine tout en gardant une certaine fantaisie par le biais, ici, des pics verbaux de Sarge. Quant à Ken Niimura, si son trait peut désarçonner, il est à l'image de cette histoire : simple, dynamique, drôle et particulièrement attachant.
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