1965 – Los Angeles
Alors qu’une émeute éclate après une altercation entre un policier blanc et une famille afro-américaine, la jeune recrue, Syd Bonnano, enquête sur une série de meurtres liés par un même mode opératoire.
1992 . La ville s’embrase à nouveau.
Deux policiers sont assassinés puis carbonisés en pleine rue.
Ce crime odieux n’est pas sans rappeler les meurtres perpétrés en 1965.
Et l’inspecteur Foreman connait la seule personne capable d’éclairer les zones d’ombres de cette affaire : Syd Bonnano.
Malheureusement, ce dernier a disparu de la circulation.
Seule sa fille, Éve Delarue, officier de police, peut l’aider à retrouver un père à qui elle n’a plus adressé la parole depuis des mois.
Affaires criminelles sur deux époques
« No justice, No peace »
Une histoire qui se répète
Burn Baby Burn de Lorenzo Palloni est une oeuvre choc qui ne laissera personne indifférent.
Par le biais d’une introduction brillante, l’auteur inscrit son histoire sur deux époques et pose les pièces d’un puzzle implacable qui nous tiendra en haleine tout au long de ces 236 pages.
D’ailleurs, la dernière révélation surprendra même le plus aguerris, concluant ainsi une enquête ancrée dans une ville ravagée par une violence omniprésente.
Il faut dire que le propos sociétal résonne fortement avec l’actualité démontrant que l’humanité a un don pour s’auto-détruire.
Dans Burn Baby Burn , le bien et le mal s’entremêlent dans une rage incontrôlable.
Les deux époques sont liées par l’embrasement d’une partie de la population qui réclame la justice.
Or, en usant habilement de répétitions, l’auteur démontre que rien ne change.
Pire, les tensions se sont aggravées avec le temps, rendant les rancunes encore plus profondes.
Des policiers usent de leur pouvoir, des gangs prennent l’excuse de la vengeance pour exercer leurs lois et un tueur en série cherche de nouvelles proies.
Les horreurs de 1965 amènent à celles de 1992.
La haine des autres
Ainsi, Lorenzo Palloni choisit de faire évoluer ses personnages en pleines émeutes raciales.
Malheureusement, comme le prouve l’Histoire américaine, la plupart de ces révoltes trouvent leurs origines après une altercation avec la police.
La population s’enlise dans un conflit armé censé apporter la justice à une tranche de la population américaine continuellement bafouée.
Or, avec un certain fatalisme, l’auteur prouve que la justice ne peut pas se réclamer par les armes.
Quelque soit la couleur de peau, il y aura toujours des hommes ou des femmes pour utiliser cette colère à des fins moins nobles.
Dans Burn Baby Burn, Lorenzo Palloni décrit une nation consumée par la peur et le rejet des autres.
Ainsi, le racisme n’est pas l’apanage de la police.
Les gangs, sous prétexte d’une vengeance qu’ils estiment légitime, prennent les armes et règlent leurs comptes avec la police mais aussi avec une population asiatique qu’ils traitent comme des voleurs.
De ce fait, la colère se transforme en une animosité injustifiable.
Et cette haine, c’est exactement ce que ressent Choi-Son Dju, un épicier prêt à tout pour défendre son commerce, quitte à mettre en péril tout ce qu’il possède.
L’homme est aspiré par un flot de colère et tombe dans un puits sans fond sans pouvoir remonter à la surface.
Lorenzo Palloni peut paraitre terriblement défaitiste mais c’est avant tout un cri d’alarme qui résonne à travers les pages de Burn Baby Burn.
Seule la justice peut apaiser les rancunes et éviter que les oppressés deviennent des oppresseurs.
Une affaire de famille
Syd Bonnano fait le lien entre les deux époques.
Issu d’une famille de policiers, il débute sa carrière au côté de son père en 1965.
Stan Bonnano est un homme brutal et raciste, n’hésitant pas à porter la main sur sa femme devant les autres membres de la famille.
Il n’est pas du genre à se remettre en cause et accepte encore moins qu’on le contredise.
Syd n’est pas comme son père.
Il a encore une vision optimiste du métier qu’il exerce et pense qu’il peut changer les choses.
Pourtant, on le retrouve en 1992, vieux et seul. Il n’est plus flic et sa propre fille ne veut plus entendre parler de lui.
Pourquoi ? Qu’est-ce qui a provoqué ces changements ?
On comprend rapidement que ses relations familiales sont intimement connectées à ce qu’il a vécu en 1965, allant jusqu’à le poursuivre en 1992.
Entre les petites manigances et les secrets inavouables, Syd cherche à trouver sa place en s’éloignant d’un père toxique mais s’interdit une vie de famille normalisée.
Laisser sa chance au produit
Certains chefs d’oeuvre passent à côté de leur public.
Allez savoir pourquoi ?! Un sujet difficile, un graphisme austère, un prix élevé ou une sortie noyée sous le flot de nouveautés, on peut l’expliquer de mille façons.
Burn Baby Burn n’est pas une bande dessinée facilement abordable.
Le propos est difficile et l’ambition narrative ainsi que la multitude de personnages peut effrayer.
De même, le dessin de Lorenzo Palloni peut déstabiliser.
Ce trait noir, crasseux, rappelle à certains égards celui de Darwynn Cooke et ravira avant tout les connaisseurs.
Les autres risquent d’être décontenancés par un nombre de cases par page conséquent, laissant présager une lecture complexe.
Et pourtant, Lorenzo Palloni maitrise admirablement son récit gérant les méandres de son intrigue avec une intelligence rare.
Les personnages, aussi nombreux soient-ils, servent tous l’intrigue ou le propos de l’auteur. Ils sont assez bien présentés pour qu’on ne se perde pas entre les identités multiples.
Le propos, en plus d’être nécessaire, frappe par une radicalité et un raisonnement qui font froid dans le dos.
Il faut dire que de James Ellroy à Frank Miller, l’auteur a de belles inspirations.
Alors oui, on peut passer à côté d’une oeuvre grandiose mais il n’est jamais trop tard pour rectifier le tir.
Burn Baby Burn de Lorenzo Palloni mérite des éloges bien plus conséquentes que ce qu’il a reçu jusque là et c’est à nous, lecteur.rices, de faire bouger les choses.
En résumé
Burn Baby Burn de Lorenzo Palloni est un pur chef d'oeuvre.
Si le terme est souvent galvaudé et exprime un avis somme toute personnel, c'est aussi une manière pour moi de rattraper un oubli de lecture inadmissible.
Le récit, sous la forme d'un polar implacable, dévoile un aspect de la nature humaine terriblement d'actualité : sa violence intrinsèque et la haine qu'elle engendre.
Avec un propos sociétal sombre et fataliste, l'auteur tente de chercher la lumière dans ce magma de cruauté, de préjugé et d'injustice.
Burn Baby Burn fait forcément écho à une époque qui a troqué la justice pour la vengeance, entrainant un enchainement de haine que rien ne semble arrêter.
Le constat est terrible, même si les dernières cases apportent, à leur façon, un semblant d'éclaircies.
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