Mots Tordus et Bulles Carrées

Kô (Joëlle Ecormier)

Une libellule en transparence sur une couverture vert d’eau, un titre court et énigmatique. Il n’en fallait pas moins pour m’intriguer et me lancer dans la lecture de de Joëlle Ecormier aux éditions Zébulo.

« Ne tourne jamais le dos à l’Océan ou il te prendra au moment où tu t’y attends le moins » 

Cette phrase du père de , le jeune personnage principal de ce roman, résonne comme un mauvais présage. En effet, le père, pêcheur de l’Océan indien, a disparu en mer. Seule une rame de son embarcation a été rendue par l’océan à la famille. Mais Kô, contrairement à sa mère Nila et à sa soeur Sindhu, continue d’attendre un retour improbable.

Les trois narrateurs, Kô, sa soeur et sa mère, alternent les regards sur cette absence du père de famille qui les touche durement et bouleverse leur quotidien. Mais qui emprisonne surtout le fils, toujours dans l’attente et la non-acceptation. 

Car Kô ne veut pas quitter cette plage par laquelle son père pourrait revenir. Il a même élu domicile dans un cabanon de pêche. Il s’isole, entouré des nombreux objets qu’il glane, après avoir été rejetés par l’océan. Après avoir quitté le lycée, s’occupe des chèvres et entretient le Bonhomme de pierre, sorte de totem protecteur des naufragés. Il vit dans ses souvenirs tout en tentant de maintenir malgré tout l’image vivante du père auprès de sa jeune soeur et de sa mère. Elles qui peinent à lui redonner goût à la vie et à l’avenir.

La découverte

Alors, quand Kô découvre une épingle à cheveux en jade, sculptée en forme de libellule, un insecte que son père affectionnait particulièrement, et une valise pleine d’objets d’enfant, il y voit un message annonciateur de son retour. Tandis que la population fait la découverte macabre, sur la plage, d’une aile d’avion, tout indique que ce sont les débris d’une catastrophe aérienne récente. Les familles endeuillées viennent pour pouvoir enfin faire leur deuil. Mais Kô va cacher les pièces qu’il a lui-même découvertes, enfermé dans son chagrin et dans son refus d’accepter la vérité de sa propre situation.

« Vous connaitrez la vérité, et la vérité vous rendra libres. » (Jean 8.32)

Cette citation qui ouvre le roman résume à elle seule la prison dans laquelle Kô se meurt. Son mensonge, s’il est compréhensible puisqu’il lui permet d’entretenir la mémoire et l’espoir du retour de son père, l’empêche d’avancer. Et il ôte aux familles des victimes de la catastrophe la possibilité d’avancer elles aussi. 

Le regard tendre et affectueux de Nila, sa mère, associé à l’énergie et à la force de vie de Sindhu, sa petite soeur, mais aussi à la sagesse de Darpan, un homme accueilli dans la famille car il est à la recherche de signes de la mort de sa femme et de son fils, vont permettre à Kô de faire ce chemin difficile vers l’acceptation et le deuil. 

Tout en douceur et en poésie, Joëlle Ecormier aborde ainsi la complexité  et l’ambiguïté des sentiments face à la mort. La patience affectueuse d’une famille bouleversée par l’absence du père. La douleur vécue par les familles dont un membre a disparu dans une catastrophe aérienne.

Dans Kô , l’océan est un personnage à part entière

L’Océan est ici un personnage à la fois ami et ennemi. En effet, il porte les questions des personnages et des réponses qu’on ne veut pas toujours entendre. La libellule, belle et fragile, symbole d’une vie éphémère, apparait comme un bijou. C’est celui qu’offre Kô à sa jeune soeur pour son anniversaire. Mais aussi celui que constituent les souvenirs du père, qu’entretient son fils dans son cabanon, et même le chant de la sitar qui résonne comme un triste appel au large. 

Les liens qui unissent les personnages sont eux aussi à la fois fragiles et beaux. Et c’est là tout le talent de l’autrice d’avoir su rendre lisible ce qui est évanescent.

Une belle lecture, un roman profondément humain.

Il est à noter que le roman a reçu une mention spéciale pour le prix Vendredi et le prix Vanille, en 2021.

(Mots Tordus)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Aller au contenu principal