Mots Tordus et Bulles Carrées

La jurée ( Claire Jéhanno )

Professeure de collège, Anna Zeller devient jurée aux assises après un tirage au sort. Elle va devoir juger un couple pour l’empoisonnement et le meurtre de leur voisine et grand-tante. Au fil des 5 jours de procès, Claire Jéhanno nous fait suivre les réflexions et les émotions de la Jurée. Une quête de vérité à laquelle vont se mêler les souvenirs d’un traumatisme plus ancien.

Une chance sur mille deux cents

Anne Zeller devient la jurée n°23 dans le silence de la cour d’assises. Elle a été déclarée « apte à juger » Lucile Moulin et Frédéric Gagneron, tous deux accusés du meurtre de Gilberte Gagneron, 73 ans, grand-tante de ce dernier.

À raison de 10 heures par jour, avec 7 autres jurés, elle va examiner les charges portées contre eux, accusés d’empoisonnement, d’homicide volontaire pour lui et involontaire pour elle.

Claire Jéhanno nous plonge dans les journées harassantes, l’observation, l’analyse et l’écoute des témoignages, des plaidoiries, des rapports d’enquête. Dans l’esprit et les sentiments d’Anna aussi qui prend douloureusement conscience de sa responsabilité.

Je suis la jurée, celle qui siège immobile, celle qui doute, celle qui délibère. Dans mon tribunal résonnent des questions que l’on ne pose jamais : quelle part d’un autre portez-vous ? Qui vous a blessé ? Quel est le dernier souvenir que vous avez oublié ? À qui n’avez-vous pas dit au revoir ?

D’autant plus que ce procès va très vite réveiller des souvenirs d’enfance traumatisants. En effet, 20 ans auparavant, alors qu’elle n’avait que 11 ans et sa soeur, Maxine, 9, leur mère a quitté leur père, la Bretagne pour s’installer à Chartres, effaçant toute leur vie passée, jusqu’à leur nom de famille, Boulanger. Une décision liée à un événement terrible.

Les fils des jours du procès croisent donc ceux de l’enfance d’Anna, profondément marquée psychologiquement par ce drame survenu dans son enfance. Un drame qui va réveiller des douleurs familiales et faire porter à la jurée un autre regard sur la vérité qu’elle cherche.

En quête de vérité

La jurée est un roman saisissant à plus d’un titre.

Tout d’abord parce qu’il aborde de manière intime le quotidien d’une jurée de cour d’assise. La narration à travers les yeux et les mots d’Anna est sensible, quasiment tactile. Chaque geste, voix, regard des accusés mais aussi des autres jurés est détaillé. On partage ses doutes, ses interrogations, sa recherche de la vérité. À certains moments, on sent poindre la culpabilité. Puis, à l’examen des pièces à conviction, des rapports, des témoignages, on hésite, on tremble. Tout semble ne tenir qu’à un fil.

Tout a une signification dans un crime : la parole mais aussi les silences, l’argent sur le compte en banque ou le découvert, les médicaments de pacotille, les antidépresseurs manquants, la poubelle qu’on a descendue plus tôt que prévu. Même l’absence de preuves peut constituer une preuve. Je l’apprends au fil des déclarations. Et ça m’alourdit autant la tête que l’estomac.

En cela, Claire Jéhanno est diaboliquement habile. Les retours en arrière qui évoquent la famille d’Anna, son enfance avec ses parents et sa soeur, les coupures de journaux concernant le drame qui les a bouleversés se mêlent au cours du procès et relance la tension.

Le personnage d’Anna, dans toute sa fragilité et sa détermination, est particulièrement réussi. Les relations avec sa soeur, ses parents, mais aussi les autres jurés, la juge Caillebotte et même les accusés, également.

L’autrice sait dire finement la fragilité de la mémoire et les évidences trompeuses. Tout autant que les liens familiaux et l’attachement.

Pourquoi lire La jurée ?

La jurée de Claire Jéhanno est une belle surprise. Le récit du procès, avec ses doutes et ses hésitations, tient les lecteurs qui, comme la narratrice, sont en quête de vérité. Les fragilités d'Anna et ses émotions qui s'entremêlent lors de ces 5 jours si lourds de conséquence, sont dites avec beaucoup de sobriété. Il se dégage de ce roman une profonde humanité. 

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