La voix des bêtes, la faim des hommes (Thomas Gilbert)

Brunehilde est une meneuse de loups.
Accompagnée de Loupiot, elle fait la rencontre de Paulin, un colporteur.
Ensemble, ils se dirigent vers la vallée des Causses du Quercy qui fait face à une série d’infanticides.
Pour les locaux, il ne fait aucun doute que le coupable est une créature sauvage, sûrement un loup, et ils se préparent à chasser la vermine.
Mais pour la vagabonde, une seule espèce est capable de telles horreurs : l’homme.

Ordre naturel et obscurantisme

La violence des Hommes

Assassiner l’innocence

La voix des bêtes, la faim des hommes est, selon les dires de Thomas Gilbert, le dernier épisode d’un cycle consacré à la violence et à l’injustice.
Et effectivement, depuis Les filles de Salem et Nos corps alchimiques, l’auteur n’a eu de cesse de condamner, tout en la décortiquant, la violence de notre société.
D’une certaine façon, La voix des bêtes, la faim des hommes est plus abordable, tout en faisant la synthèse des opus précédents.

En prenant le moyen-âge comme point d’accroche à son histoire, Thomas Gilbert choisit une période connue pour sa cruauté mais aussi pour son profond obscurantisme, lié à l’emprise de la religion sur la population.
Pour symboliser cette sauvagerie, l’auteur met en scène le « pire des crimes » : l’infanticide.

Brunehilde, tout au long de son voyage, se retrouve sur la piste d’un meurtrier d’enfants.
L’acte, déjà horrible en soi, semble avoir été commis par une brute, un sauvage qui laisse à des parents dévastés un corps méconnaissable.
Si le sujet est sensible, Thomas Gilbert ne tombe jamais dans l’excès.
Cette violence n’est aucunement esthétique et l’auteur préfère marquer les esprits par l’écrit plutôt que par des images glauques qui n’auraient, au final, aucun sens.
Cela n’empêche pas la violence de certaines pages mais il ne s’appesantit jamais dessus.
L’acte violent est brutal, terrifiant et souvent injustifiable.

Cependant, la violence répond à la violence…

l’emprise religieuse sur les esprits

Mysticisme et religion

À l’instar du Chevalier Brayard de Zidrou et Porcel, La voix des bêtes et la faim des hommes est une description parfaite de l’emprise de la religion sur les hommes et… sur les esprits.
Pour le coup, on ressent tout le travail documentaire de l’auteur.
Il nous laisse d’ailleurs une petite bibliographie permettant aux lecteur.rices les plus curieux.ses de prolonger leur découverte d’une époque plus complexe qu’elle n’y parait.

Cette approche apporte un profond réalisme au récit de Thomas Gilbert, tout en l’agrémentant d’un fond de mysticisme.
La religion est partout. Elle a le pouvoir car elle explique ce que l’Homme ne comprend pas ou ne veut pas comprendre.
Forcement quand une série de meurtres terrasse la région, il faut y trouver une raison.
Et qui de mieux qu’un homme d’église pour tenir ce rôle.
Derrière des rites, et en échange de pitance privant encore plus les villageois.es, il offre une voie vers le paradis à des enfants morts trop tôt.
À condition, au préalable, que l’enfant ait été baptisé.


« Il leur a vidé leur vin et le peu qui reste de leurs salaisons.
Alors que le village lutte contre la faim. »

— Paulin, fin colporteur

Et c’est bien là tout le drame.
L’emprise est si forte qu’il n’y a jamais contestation.
Tout ce que la religion dicte est suivi à la lettre.
Les meurtres ne peuvent pas avoir été commis par un homme, alors tuons du loup !
Pour l’auteur, les hommes cherchent la sauvagerie dans le monde animal alors qu’au final, elle est simplement tapie parmi eux.

Un graphisme épatant

Des illustrations empreintes de symbolismes forts

Thomas Gilbert est un dessinateur brillant.
Il l’avait déjà prouvé sur Les Filles de Salem et même si je dois avouer que Les corps alchimiques m’avaient quelque peu perdu, le travail graphique autour de cet album était tout bonnement bluffant.

Et c’est d’ailleurs le cas ici aussi.
De la couverture, qui résume à elle seule le personnage de Brunehilde, aux illustrations de chapitres mettant en scène de puissantes représentations graphiques, le dessin est aussi soigné que réfléchi.

Les scènes hallucinatoires avec leurs anges aussi effrayants qu’hypnotisants, contrastent avec la simplicité de la mise en page qui retrace le voyage de Brunehilde.

La colorisation est terne mais retranscrit à la perfection la rudesse de cet album envoutant.

En résumé

La voix des bêtes, la faim des hommes de Thomas Gilbert est une oeuvre riche autant sur le fond que sur la forme. 

Sous des airs d'enquête moyenâgeuse, l'auteur se sert de son récit pour condamner la violence intrinsèque de l'humanité, prisonnière des injustices de la société. 
Thomas Gilbert retranscrit à la perfection l'emprise de la religion sur les esprits les plus faibles et donne ainsi une explication à cette barbarie qui cherche des coupables dans un monde sauvage qu'ils ne connaissent pas. 

Un graphisme sublime qui marque autant par la puissance de ses représentations que par la justesse de sa mise en page. 

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