Les petites reines (Magali Le Huche)

Les résultats ne font aucun doute.
Cette année, Mireille Laplanche ne sera pas le « Boudin d’or » du collège Marie Darieussecq.
À la troisième place, l’adolescente a été « surclassée » par Hakima Idriss et Astrid Blomvall.
Avec les années, et sans réel appui de l’institution, Mireille a appris à considérer ce concours avec dédain. Mais pour Astrid, la nouvelle est plus difficile à digérer.

Ensemble, elles retrouvent Hakima et prennent une décision importante : se lancer dans un road-trip à vélo avec comme objectif, une arrivée le 14 Juillet au château de l’Élysée.

Road trip entre adolescentes

Faire face à l’adversité avec classe

Les petites reines est une adaptation de Magali Le Huche du best-seller éponyme de Clémentine Beauvais.

Après les romans de Marie Despleshin, l’autrice jeunesse, que nous avions découverte avec Nowhere Girl, s’attaque à nouveau à la thématique de l’adolescence sous un tout autre angle.

Dès les premières pages, on découvre, par le bagout de Mireille, une adolescente dans toute sa splendeur.
Exubérante, drôle, ironique et forte en tête, elle donne du fil à retordre à une mère qui fait de son mieux pour composer avec une fille aussi énergique.
Les dialogues fusent comme une mitraillette et on s’amuse de la répartie de la jeune fille.
Et pourtant, cette dernière aurait toutes les excuses pour se morfondre dans son lit.
Ainsi, le récit nous apprend que, depuis plusieurs années, et par le biais d’un odieux classement, elle est la risée de son collège.
Mais il en faut plus pour déprimer la jeune adolescente.

Mireille symbolise parfaitement l’excentricité du récit emprunté à Clémentine Beauvais.
Loin du drame ou d’un certain misérabilisme, les autrices nous décrivent des jeunes filles débordantes et multiples.
Si Astrid s’avère plus réservée, Hakima porte l’honneur de son frère au-dessus de tout (et surtout d’un stupide concours).
Cependant, c’est ensemble qu’elles vont se lancer dans cette aventure totalement folle.

Il faut bien avouer qu’il y a quelque chose d’assez irréel à les voir s’engager, parfois avec le consentement des parents, dans ce voyage.
Mais au final, ce road-trip marque une forme d’indépendance face aux adultes.
Même si elles seront épaulées par Kader, le frère d’Hakima, ce sont avant tout leurs décisions qui sont mises en valeurs.
D’ailleurs, Kader, sans doute le personnage le plus complexe, a lui-même son propre chemin à faire.
Au final, adultes comme adolescentes, c’est avant tout leur humanité qui nous les rends si attachant.es.

Féministes jusqu’au bout des ongles, les trois adolescentes se lancent dans un road-trip frénétique et médiatique qui nous amène à réfléchir au regard qu’on porte les uns sur les autres.

Modernité et diversité des thématiques

Le ridicule ne tue pas

Si le roman de Clémentine Beauvais est proposé aux 5èmes dans les programmes de l’Education Nationale, ce n’est sans doute pas un hasard.

Certes, le sujet principal, hautement d’actualité, porte sur le harcèlement.
D’une certaine façon, l’existence même de ce concours est l’expression d’une pure méchanceté mais aussi de l’incapacité des institutions (mais aussi des parents) à prendre des mesures concrètes.
L’instigateur du projet, Malo était pourtant ami d’enfance de Mireille mais, pour se faire accepter, il l’a rejetée pour ensuite se servir d’elle comme un bouc-émissaire.
C’est simplement « pour rire », se défendra-t-il, sous le coup de la colère.

Ainsi, la situation se retourne avec subtilité.
Alors que les jeunes filles font face, Malo s’avère pathétique.
Sa première apparition démontre qu’il ne vit qu’à travers le regard des autres ( et de sa petite amie), ridiculisant ainsi tous ses effets.
Les autrices n’ont pas de complaisance pour ce harceleur.
On découvre avant tout un gamin jaloux et incapable de faire face à ses propres responsabilités.

À côté de cela, le récit aborde de nombreuses thématiques liées à l’adolescence comme les réseaux sociaux, la famille (recomposée ou non), le handicap, l’amitié et les premiers amours.
Plus surprenant, l’adaptation de Magali le Huche dénonce la vision sarcastique d’une presse complaisante.
Ainsi, le journalisme devient le regard voyeur de toute une société sur les 3 adolescentes.
Ne cherchant aucunement à comprendre leur choix, elle propage une image racoleuse et moqueuse.
Ici, l’information passe après le spectacle.
On notera d’ailleurs qu’à aucun moment la journaliste ne s’offusque du sobriquet des 3 jeunes filles.
Au contraire, elle le propage.
La critique d’un certain journalisme est assez cinglante et dépasse d’ailleurs la question de genre.

Au final, il faudra attendre leur réussite pour que les « 3 boudins » deviennent ce qu’elle ont toujours été : des petites reines.

Un trait vif et dynamique

Pour être tout à fait honnête, je ne suis pas spécialement fan du dessin de Magali le Huche.
Or, il faut bien avouer que son trait convient à parfaitement à l’univers de Clémentine Beauvais.

Son dessin, aussi simple soit-il, transpire de sincérité et rappelle ce trait d’un naturalisme si chère à Camille Jourdy.
On y retrouve cette simplification stylistique portant une plus grande attention à la gestuelle et aux expressions des personnages.
L’encrage uni et fin renforce cette sensation de simplicité, comme si tout avait été fait en un seul trait.

Ici, le dessin est avant tout au service du scénario et ne cherche pas à prendre le dessus sur l’ambiance générale.
Cela n’empêche pas Magali le Huche de s’amuser avec une mise en page variée malgré un nombre conséquent de cases.

L’ensemble, s’il n’éclate pas la rétine, reste parfaitement maitrisé et offre toute sa fraicheur à un récit d’un rare optimisme.

En résumé

Les petites reines de Magali le Huche est une adaptation réjouissante du roman éponyme de Clémentine Beauvais. 

Par le biais d'un dessin délicat, l'autrice s'empare d'un récit prenant le parti de s'amuser du harcèlement sans pour autant renier son sujet.
À l'image de l'excentrique Mireille, on suit un voyage bourré de rebondissements et à l'ironie constante.
Une façon habile et intelligente de remettre en question tous ces regards inadaptés, personnels ou sociétaux, subis par une adolescence en quête de réponse.

Prix et récompenses

  • Prix Mon livre préféré – centre de vacances et colonies de vacances – Sélection 2024
  • Prix en Bulles / Médiathèques en Ile-et-Vilaine – Sélection 2024 en catégorie adolescents
  • Fauve jeunesse / Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême – Lauréat 2024

Pour lire nos chroniques sur Comme Prima et 520km

Bulles Carrées

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Aller au contenu principal