Je découvre avec Darwyne l’univers guyanais et l’écriture de Colin Niel, auteur de romans noirs, récompensé de plusieurs prix, dont le Grand Prix de littérature policière en 2023 pour ce titre. Dans une Guyane entre bidonville et forêt, un jeune garçon étrange est tiraillé entre son amour pour sa mère et la puissance de la nature-refuge qui l’entoure. Un roman noir à l’ambiance moite et déstabilisante, qui nous révèle ce que les êtres qui s’y débattent ont au plus profond d’eux-mêmes.
Darwyne
Darwyne, c’est d’abord un personnage étrange et attachant. Ce petit garçon de 10 ans, qui souffre d’un léger handicap physique, boite et ne semble pas beaucoup apprécier l’école. Il vit seul avec sa mère Yolanda dans un bidonville nommé Bois Sec, en lisière de forêt.
Leur relation est puissante, fondée sur une adoration du petit pour sa mère si belle. Elle qui lui témoigne peu d’affection et semble lutter contre sa nature « sauvage » et son attraction pour la forêt.
Or, ce duo, dès l’ouverture du roman, se trouve perturbé par l’arrivée d’un beau-père : Jhonson. Un nouveau beau-père, devrait-on dire, puisqu’il est le huitième. Il va très vite être question des disparitions de ces hommes qui se sont installés dans la cabane familiale, régulièrement envahie par la végétation de la jungle. Ces hommes attirés par la beauté de Yolanda et très vite mal à l’aise face à l’enfant boiteux qui vit avec elle. Et qui ont fui ou se sont volatilisés.
Pour l’enfant, sur la défensive, c’est un cycle qui recommence.
Dehors, le portail crise dans la terre.
Darwyne ferme les yeux, pense : Ça y est, le voilà.
Derrière le mur, il entend marcher la mère qui a fini d’étendre son linge, perçoit le son des voix sans comprendre ce qui se dit. Il attend encore un peu, comme pour profiter d’un temps déjà perdu. Mais quand sa mère appelle :
– Darwyne !
Il sort enfin de son refuge. Se présente à l’extérieur, sous le ciel en train de foncer, percé d’étoiles naissantes au-dessus des bicoques. Et il détaille la silhouette de l’homme qui se tient devant lui, sac de sport à l’épaule où tiennent tous ses effets. On dirait un géant.
C’est d’ailleurs une dénonciation anonyme qui a éveillé les soupçons des services de la protection de l’enfance. Et c’est Mathurine, une employée des services sociaux, qui va mener l’enquête sur ce petit garçon isolé et potentiellement maltraité.
Autour de ces 4 personnages qui vont se côtoyer, bien malgré eux pour certains, règne une puissance omniprésente et quasi mythique : la forêt. En effet, tout au long du roman, la nature va jouer un rôle déterminant pour l’intrigue. Mais aussi apporter un mystère et une étrangeté quasi surnaturels.
Au plus profond des coeurs et des esprits
En tant que lecteurs, nous progressons aux côtés de Mathurine. Si elle aime et respecte la forêt, elle reste une enquêtrice venue pour examiner le quotidien et la vie du petit garçon. Comme elle, sa fragilité nous touche, de même que son insécurité. Par cette relation qu’on devine malsaine entre la mère et l’enfant. Mais on est également surpris par la métamorphose qui s’opère lorsque le jeune garçon pénètre et parcourt la forêt. En effet, il devient alors une sorte de « génie » parfaitement adapté et intégré à cette nature. Cette forêt qu’il semble connaitre intimement et avec laquelle il semble communiquer.
Et bientôt c’est l’Amazonie, le sous-bois s’empare de lui telle une femelle de son rejeton blessé, le recueille dans son ombre. Le pas de Darwyne se fait plus sûr sur l’humus meuble, il avance plus vite que sur aucun béton, rassuré par la moiteur qui gaine son corps d’une sueur fauve, encouragé par les sons qui lui parviennent, non plus lointains du fond d’un jardin débroussaillé, mais cette fois de toutes parts. Cigales vrombissantes agriffées aux écorces, grincements des grenouilles atélopes dans les rivages des criques, passereaux mêlés en rondes, volant de branche en branche, chacun pépiant la langue de son espèce, bataras cendrés en leaders, chant métallique de la coracine chauve, tout un chorus bestial et familier, que Darwyne retrouve enfin.
On est envahis d’émotions contradictoires et déstabilisantes au fil du roman. Et c’est là la force de l’écriture de Colin Niel. Amour, haine, lâcheté, courage, colère, patience. Tous ces sentiments alternent et se combinent de manière complexe pour tisser le récit de cette famille hors normes. Et de la relation de Mathurine avec Darwyne, qu’elle voudrait comprendre et protéger, elle qui cherche désespérément à devenir mère.
Petit à petit se dévoilent des secrets. A travers les points de vue croisés de la mère, de Jhonson et de Mathurine. Et le mystère de cet enfant étrangement attaché à la forêt nous plonge dans le fantastique. L’auteur, qui a vécu plusieurs années en Guyane et a travaillé pour la préservation de la biodiversité au parc amazonien, s’inspire du mythe du Maskilili. Il s’agit d’un petit monstre, pas très grand, malicieux, mais jamais méchant qui serait pourvu de pieds à l’envers pour que les gens, qui suivent ses pas en forêt (surtout les chasseurs et les enfants) se perdent ! (source : Blake’s Karaïpedia)
L’alchimie entre la réalité de la vie guyanaise dans les bidonvilles et celles, plus mystique, des génies et autres créatures de la puissante forêt, se fait aisément. Elle apporte au récit une vraie épaisseur.
Enfin, Colin Niel a un talent certain pour créer des personnages ambigus et complexes, auxquels on s’attache malgré leur lâcheté ou leur étrangeté.
Le roman se lit d’une traite, jusqu’à la dernière ligne.
Pourquoi lire Darwyne ?
Darwyne est un roman puissant et dérangeant qui ne vous laissera pas indifférent. L'atmosphère amazonienne est décrite avec une acuité et un réalisme saisissant, tout en préservant le mystère et la force mystique de la forêt. Colin Niel réussit à donner corps et âme à ses personnages, profondément humains et plein d'ambiguïtés. Le bien et le mal s'y côtoient et se mêlent. Comme la réalité et la magie de la nature omniprésente, à la fois mère-refuge et monstre dévorant.
Un coup de coeur en vert et noir.
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