Mots Tordus et Bulles Carrées

Michelle doit-on t’en vouloir d’avoir fait un selfie à Auschwitz ? (Sylvain Levey)

 

Il est des rencontres d’auteurs qui laissent des traces. J’ai d’abord découvert Sylvain Levey avant de le lire et de voir les mises en scène de ses pièces.

Atelier d’écriture dramatique : une salle de classe banale, les tables ont été placées en cercle. 25 ados de 3e sont penchés sur leur feuille. Ils grattent, ils grattent, les phrases s’enchainent. Le stylo ne doit pas décoller de la page. 

Sylvain Levey veille et chronomètre.

Il est l’anti-cliché de l’auteur de théâtre tel que les élèves l’imaginaient : vivant (ils connaissent essentiellement Molière) et artisan. Il vient de leur expliquer rapidement son parcours, son entrée dans l’écriture et le travail que cela demande. Il parle football, il déconstruit les idées préconçues de l’inspiration qui tomberait du ciel et rassure (« vous savez tous écrire, vous le faites tout le temps »).

Et, en effet, pendant plusieurs heures ils écriront, réécriront encore leur texte, le liront à voix haute, rayeront, ratureront, le diront debout sur une chaise, à plusieurs, seul ou en marchant. Ils s’entendront dire que c’est chouette ce qu’ils ont écrit, que l’auteur leur piquerait bien cette phrase ou cette autre. Ils écriront du théâtre. Ce sera parfois drôle, souvent touchant et même fort. Ils se souviendront de ces journées passées avec Sylvain Levey, et moi aussi.

Pour préparer cette rencontre, j’avais lu Ouasmok ? évidemment. Alice pour le moment un peu plus tard aussi. J’ai découvert la langue, les parcours adolescents fulgurants et la tendresse de l’auteur pour certains personnages.

Puis est venue la lecture de Michelle doit-on t’en vouloir d’avoir fait un selfie à Auschwitz ?

L’auteur explique que tout a commencé par la découverte d’un article de journal : lors d’un voyage scolaire à Auschwitz, une jeune lycéenne américaine poste un selfie sur Facebook, tout sourire, joli petit blouson rose devant le camp de concentration. Très vite, les insultes, injures et autres commentaires haineux pleuvent. Harcelée sur les réseaux, elle a cependant un quart d’heure de gloire lorsqu’elle est invitée à témoigner sur un plateau télé. 

Sylvain Levey s’empare de ce fait divers et crée une pièce chorale dans laquelle on entend les voix de Michelle -alias uneviedechat- mais aussi de ses camarades de classe, des parents, des professeurs. On suit la bande d’ados pendant leur voyage scolaire, dans de courtes scènes, rythmées par les échanges de textos et de posts sur les réseaux. Et on se rend compte que leur rapport à l’image est leur réalité quotidienne mais que ce ne sont pas des idiots. Leur débat, après la diffusion du selfie, pose question : où se situe la violence ? quel rapport ont-ils à l’Histoire ? aux symboles ? Et nous ?

On découvre aussi évidemment l’emballement virtuel et la machine des commentaires partagés qui broie. On se rend compte également que Michelle, loin d’être naïve, a conscience qu’on l’utilise.

Le texte est vif et novateur : il mêle souvent répliques et didascalies, paroles et descriptions, hashtags et citations.

La réflexion autour du regard que les jeunes portent sur le monde est ouverte. Mais comme le dit très justement Michel Simonot à la fin de l’édition Théâtrales jeunesse : « Il ne faut pas s’y tromper, c’est un théâtre pour la jeunesse en même temps que pour les adultes. »

Il est à noter que depuis 2019, le texte est également publié dans la collection Folio + collège chez Gallimard

Je ne saurais que vous conseiller de regarder et d’écouter l’auteur parler de cette pièce et de ses personnages sur le site théâtre-contemporain.net

(Mots tordus)

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