Traiter du deuil dans une famille où le silence va occuper tout l’espace après la disparition d’un parent n’est pas chose aisée. Antonio Carmona, acteur et auteur de textes théâtraux pour la jeunesse, nous emmène à suivre, avec son premier roman On ne dit pas sayonara, ce cheminement long et douloureux mais nécessaire. Tout en délicatesse et en sensibilité.
Tristesse et tarte aux oignons
Le choc est immense lorsque Elise perd sa mère. Une fin du monde pour elle et pour son père, profondément amoureux de sa femme disparue.
Elle a 8 ans et sa vie quotidienne va radicalement changer.
Pour son père, tenir debout et rester vivant repose désormais sur des règles simples : on n’évoque plus tout ce qui touche de près ou de loin à cette femme qu’il a tant aimée.
Depuis, papa a inventé des tas de règles. Sans doute dictées discrètement à l’oreille par la créature qui a pris possession de lui. Ces règles n’ont qu’un but : faire disparaitre ma mère intégralement. La pousser loin en dehors de notre maison et de nos souvenirs. Elle, et le pays qui l’avait vue naitre, le Japon.
Pour Elise commence alors une vie triste et monotone. Elle est comme coupée en deux car sa moitié maternelle ne peut plus exister sans faire souffrir son père. Une tristesse dont elle se rend en partie responsable, elle qui ressemble tellement à sa maman.
Pour contrôler ses émotions et celles de son père, elle ne doit donc plus ni parler japonais, ni lire des mangas ni évoquer la musique ou le piano auquel sa mère était si attachée.
Difficile de vivre dans ces conditions sa vie d’adolescente, surtout quand on entre au collège.
Heureusement, il y a Stella, son amie un brin déjantée et passionnée d’anime japonais mais aussi sa grand-mère Sonoka qui va s’imposer et rebattre les cartes de ce quotidien si gris.
Dire « mata ne » plutôt que « sayonara »
Il faut beaucoup de délicatesse pour dire la douleur, la peine et les silences du deuil. Antonio Carmona réussit, dans un langage simple et sensible, à traduire les interrogations d’Elise face à ce père qu’elle ne reconnait plus. Le regard qu’il porte sur ses personnages est tendre, sans jugement.
Le père, dans toute sa raideur, transpire d’amour et de désespoir. La mamie, venue spécialement du Japon, impose, avec sa sagesse et ses traditions, la présence de sa fille disparue. Stella, l’amie étrange et parfois incontrôlable, insuffle un vent de vie et de rire dans un foyer éteint par la tristesse.
Elle s’est jetée sur moi à la place ; pour me prendre dans ses bras.
Elle a murmuré à mon oreille une chose que j’avais désespérément besoin d’entendre :
– Je suis sûre que tout va bien se passer. Tu vas y arriver, tu en es capable .
Ensuite, sans cinéma, elle a passé un doigt sur une larme qui glissait le long de mon visage, puis a dessiné de son index humide un petit trait mouillé sur sa propre joue. L’air de dire : « Ta peine, ma peine. »
Enfin, et surtout, il y a Elise. Elise la mystérieuse, Elise la discrète. Celle qui est rongée de ne pas pouvoir poser LA question à son père : qu’est-il arrivé à sa mère ? Comment est-elle morte ? Pourquoi son père semble-t-il si en colère ?
Chaque personnage tente de se relier aux autres, présents ou absent, et ces tentatives sont belles.
On ne dit pas sayonara est donc avant tout une histoire d’amours. D’un amour perdu, fauché par la mort, et d’un amour à raviver, celui d’un père et d’une fille. Des liens qui nous unissent et tissent nos vies les unes avec les autres.
Pourquoi lire On ne dit pas sayonara ?
On ne dit pas sayonara est un roman qui dit à la fois la profonde tristesse et le silence du deuil mais aussi l'amour et l'amitié qui ravivent. Je n'ai pas été étonnée qu'Antonio Carmona soit récompensé du premier prix à l'occasion du concours du premier roman 2023 tant il a su tisser des liens entre ses personnages, unis pour rejouer cette partition perdue. Retrouver l'harmonie après la dissonance. Jouer cette petite musique qui nous fait avancer.
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