Scalped (Jason Aaron / R.M. Guera)

À peine majeur, Dashiell « Dash » Bad Horse fuit la réserve ainsi que sa mère pour une vie meilleure.
15 ans plus tard, il est de retour à Prairie Rose et constate que rien n’a changé.
Si ce n’est l’apparition d’un casino, un projet tenu par le leader tribal Lincoln Red Crow.
Rapidement repéré par ce dernier, Dash intègre la police tribale mais son passé ne tarde pas à le rattraper.

La dernière grande fournée de Dc vertigo

Scalped est un comics policier créé par Jason Aaron et R.M. Guéra au sein du regretté label Dc Vertigo.
À cette époque, Dc Vertigo était un sanctuaire pour des projets indépendants qui ont fait les belles heures du comics américain.
Et indéniablement, Scalped en fait partie.

Publiée entre 2007 et 2012, la série comptera 10 TPB qu’Urban compilera en 3 intégrales massives.
Si j’ai déjà émis des réserves sur ce format, lui préférant très largement les anciennes versions plus digestes, cette lecture est un indispensable pour tout amateur de comics.
Jason Aaron y fait des débuts magistraux.
Après De l’autre côté consacré à la guerre du Vietnam, il explore avec Scalped le monde des réserves indiennes.
Et si une partie des fans a la mémoire courte, revenant incessamment sur l’échec de son run sur Avengers, certain.es oublient un peu vite qu’ il a marqué le comics indépendant puis le mainstream de son empreinte.

Scalped en est sans doute le meilleur rappel.

Vie et mort dans une réserve indienne

Mafia locale et coups de pression de la police tribale

Scalped n’est certainement pas à mettre entre toutes les mains.
Profondément adulte, la série est un polar brutal abordant de nombreuses thématiques par le biais de la vie des amérindiens au sein d’une réserve.
Et le bilan est loin d’être glorieux.
La population est gangrenée par l’alcool et le traffic de drogue et vit, pour une partie d’entre eux, dans une grande précarité.
Malgré tout, propriétaire de leurs terres, les amérindiens se lancent dans la construction de casinos, devenant un ressource financière importante.
C’est d’ailleurs, un des points de départ de Scalped.
Little Red Crow, chef tribal de Prairie Rose, se lance dans ce projet, prétextant des avancées économiques pour ses concitoyens.
Personnage ténébreux, sorte de parrain indien, Red Crow est continuellement balancé entre son passé d’activiste pour la cause indienne et son nouveau statut.

Jason Aaron fait preuve d’une réelle expertise pour un sujet, au final, assez méconnu.
Certains lui ont reproché de mettre en scène une minorité dont il ne fait pas partie.
J’ai beaucoup de mal à comprendre ce type d’argument.
Cela voudrait dire qu’on ne peut écrire que sur les catégories auxquelles on appartient ?
Au contraire, c’est justement ce regard d’un américain d’Alabama qui amène cette forme de cynisme dénuée de la moindre complaisance.
Il juge autant les amérindiens, fatalement attachés à une terre maltraitante, que le racisme systémique des agents du FBI.
D’ailleurs, l’attachement au territoire virant à la tragédie est une thématique récurrente du scénariste.
Elle traverse autant Rose Prairie que le sud des Redneck dans Southern bastards ( sorti dernièrement en intégral chez Urban).

Un drame familial

Des retrouvailles tendues

La famille est une autre grande thématique du scénariste.

Dans Scalped, les liens familiaux sont distendus depuis longtemps.
Dash n’a plus de contact avec sa mère Gina et, forcément, les retrouvailles sont tendues.
On comprend que quelque chose de profond a détérioré leur lien mais tout est induit, surtout que la communication ne se fait que par la violence.

Au fond, si Gina est peu présente, son ombre traverse continuellement la série.
Et la plupart des rancoeurs trouvent leurs explications dans des secrets profondément enfouis, resurgissant avec le retour de Dash.
Au final, ses secrets lient les différentes storylines, tournant autour d’une mort inattendue.

La méthode Jason Aaron

Scalped a une écriture particulière, symbolisée par une narration temporelle originale.

La plupart des clés de la série se trouvent dans le passé.
Il forge les personnages dans ce qu’ils seront dans le présent.
Dash, comme Red Crow, fait partie d’une galerie de personnages essentiels.
Du plus anecdotique aux plus important, chacun a un rôle à jouer et rien n’est laissé au hasard.
Jason Aaron s’amuse à jouer avec nos nerfs, nous rendant témoins de points de vue contrebalancés par la suite.
Il ménage son suspense, dévoilant ses cartes au compte gouttes, et l’agrémente de multiples zones d’ombre.
On est complètement happé par cette intrigue qui ne nous laisse, à l’instar des autres personnages, guère de temps pour reprendre notre souffle.

Mais là où le scénariste est réellement brillant, c’est dans son utilisation du temps.
En effet, plusieurs évènements se passent en parallèle.
Jason Aaron en profite pour faire des retours en arrière, revenant sur certains épisodes pour leur apporter une intensité différente.
En réalité, l’intrigue de ce premier volume est condensé dans un laps de temps restreint.
Si on pouvait craindre un effet de transition continuelle, cette technique apporte son lot de révélations, tout en développant une galerie de personnages importante et en insufflant une réelle dynamique.

Une véritable prouesse !

Les noirs charbonneux de R.M. Guèra

Un passé omniprésent

Le scénario de Scalped est magistral mais la partie graphique ne démérite pas. Bien au contraire !

Avant Scalped, je ne connaissais pas vraiment le travail de R.M. Guèra.
Pourtant, le dessinateur serbe a fait ses premières armes dans la bande dessinée francobelge, notamment sur Le lièvre de mars, avant de rejoindre Jason Aaron.
L’auteur travaillerait même sur une adaptation d’un récit de Conan dans la collection dédiée de Glénat.

Son style, aux inspirations plus francobelges que comics, se démarque par la profondeur de ses masses de noirs, alimentant une atmosphère particulièrement sombre.
À l’opposé, sa mise en page lorgne davantage vers le comics.
Les pages sont aérées, le cadre peut exploser à tout moment, même si, au final, R.M. Guèra reste assez sage.
Il faut dire qu’avec un trait aussi dense voire suffocant, la lisibilité aurait pu être mise à mal par un enchainement trop brutal de cases.

Au vu du foisonnement de détails dont regorge chacune de ses pages, R.M. Guèra aura besoin de renforts sur quelques chapitres.
Si on note la rapide apparition du regretté John Paul Leon, c’est surtout Davide Furno qui assure l’intérim.
Son style, plus carré et sec, avec un petit côté Sean Murphy, colle parfaitement à l’ambiance générale, même s’il ne réussit pas à atteindre l’excellence de R. M. Guèra.
Il n’empêche que la cohésion de style est assurée et qu’elle ne nuit en rien au plaisir de lecture.

En résumé

Scalped de Jason Aaron et R.M. Guèra est une série à découvrir absolument. 

Petit chef d'oeuvre de la production Dc Vertigo des années 2000, elle reste marquante autant pour la brutalité de son scénario que pour l'ingéniosité de son écriture.
Avec cette galerie de personnages au passé obscur, Jason Aaron explore l'univers méconnu des réserves indiennes tout en nous plongeant dans un polar âpre qui ne laissera personne indemne.

Le dessin charbonneux de R.M. Guèra donne à l'ensemble une ambiance suffocante et réaliste, absolument fascinante.
Et les renforts de Davide Furnao et John Paul Leon apportent une cohésion d'ensemble unique.

Un comics que tout.es amateur.rices de comics se doit d'avoir dans sa bibliothèque.

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