Et toi tu l’imagines comment la fin du monde ?
C’est avec cette étrange question que Walter attire l’attention de la jeune Ryan Cane.
Elle ne saurait dire pourquoi mais elle poursuit cette discussion avec lui jusqu’au jour où elle n’a plus de nouvelles.
Puis arrive un email où Walter l’invite, elle et toute une bande d’amis, à passer un séjour dans une magnifique villa isolée du reste du monde.
Encore aujourd’hui, elle ne peut expliquer ce qui l’a poussée à accepter cette proposition. Elle sait juste que cette décision a bouleversé sa vie.
The nice house on the lake : un huis clos horrifique et psychologique
Une bande d’ami et une demeure luxueuse
Pour être honnête, il est assez difficile de vous parler de la nouvelle bombe de James Tynion IV , tant il faudrait entrer dans ce récit en en sachant le moins possible.
The nice house on the lake est tellement prenant et énigmatique que chacune des pièces apportées par le scénariste mériterait qu’on s’y attarde longuement.
Huis clos horrifique pour certains, c’est avant tout une réflexion sur l’humanité mise au pied du mur que nous offre l’auteur américain.
Imaginez seulement l’idée.
Walter invite 10 amis qu’il connaît depuis une quinzaine d’années et avec lesquels il a de nombreux souvenirs en commun, pour un séjour d’une semaine dans une demeure luxueuse.
Si luxueuse qu’on se demande bien comment il a pu se l’offrir.
Pourtant, une fois sur place, les invités doivent se rendre à la raison, leur ami a tout prévu pour que chacun passe une semaine extraordinaire et même s’il y a des absents (surtout un), ils ont décidé d’en profiter.
Pour épicer les choses, Walter qui ne voulait pas dévoiler sa liste d’invités, les a affublés d’un pseudonyme censé les représenter ( l’artiste, le scientifique, le comique ..)
On remarquera d’ailleurs que le groupe de James Tynion est assez hétéroclite : Hétérosexuel, homosexuel, transexuel, femme, homme voire binaire.
On a ici une sorte d’échantillon de la société américaine dans toute sa diversité et sa modernité.
Le groupe est d’ailleurs central et chacun d’entre eux a un rôle à jouer.
La plupart des parties s’ouvrent sur un prologue mettant en scène un des membres de ce groupe racontant une anecdote concernant Walter.
Ainsi, le récit prend son temps pour dévoiler et construire ce personnage énigmatique.
Walter, un ami qui vous veut du bien !
Il est au centre de tout.
Il est l’ami qui lie tous les personnages les uns aux autres.
Celui qui les invite pour cette semaine de vacances.
Celui qui les a choisis.
Cette notion de choix est récurrente et amène inévitablement la question qui hantera certains d’entre eux : « Pourquoi moi ? »
C’est ce que tentera d’expliquer James Tynion IV lors des nombreux flash back qui composent son intrigue.
A première vue, Walter n’a rien de spécial.
Il est l’ami qu’on connaît depuis toujours. Celui avec qui on a partagé de bons et de mauvais moments.
Pourtant, aux dires de la plupart, son aura a quelque chose d’attirant voire de subjuguant.
L’acte fondateur du récit, celui qui fait sa force, est dans la tête de Walter depuis toujours.
Malgré tout, lui aussi se pose de nombreuses questions.
Il n’est pas inébranlable.
Il lui arrive aussi de douter et c’est ce qui, d’une certaine façon, le rend paradoxalement humain.
Pourtant, quelque chose va mettre à mal son plan…
Un imprévu qui fait de ce séjour autre chose qu’une petite escapade pour l’été.
The nice house on the lake : une fin de cycle frustrante ?
Urban comics a malheureusement commis une erreur en annonçant que The nice house on the lake se terminerait à la fin du deuxième opus.
Le premier qui a enchanté de nombreux lecteurs, a créé une énorme attente.
Attente qui s’est mélangée avec une certaine frustration quand beaucoup ont compris que James Tynion IV concluait une fin de cycle et non la fin de l’histoire.
Cette frustration peut se comprendre mais elle n’enlève en rien les qualités narratives d’un comics qui aura su nous emporter de la première à la dernière page.
Il n’y a donc plus qu’à prendre son mal en patience surtout que les propos finaux de Walter sont alléchants et risquent de relancer un récit qui ne manque définitivement pas de surprise.
Adaptation graphique pour Alvaro Martinez Bueno
Lorsque j’ai découvert le travail d’Alvaro Martinez Bueno sur Détective Comics (sous la houlette de James Tynion IV, tiens, tiens) , je suis tombé sous le charme d’un trait qui maitrisait les codes du mainstream.
Mais c’est sur Justice League Dark, encore en collaboration avec James Tynion IV (décidément) qu’il m’a complètement retourné.
Sa technicité, son encrage, sa mise en page, tout était d’une hallucinante perfection.
Un pur régal pour les amateurs de récits épiques à l’ambiance ténébreuse.
Sans forcement comparer leurs styles, le dessinateur espagnol rappelle à certains égards ce qu’on pouvait ressentir en admirant les planches de David Mazzuchelli sur Daredevil ou Batman.
Le parallèle est d’autant plus frappant au vu de la modulation de style opérée par le dessinateur pour convenir à l’ambiance du récit de James Tynion IV .
Et franchement, c’est assez épatant.
Alors oui, contrairement à Mazzuchelli, il n’a pas totalement déstructuré son style.
Au contraire, il s’est plutôt servi de celui-ci comme base pour créer quelque chose de nouveaux.
D’un trait structuré et massif, il est passé à un dessin plus instinctif, viscéral mais toujours aussi chargé.
Il a fait le choix d’un apport considérable d’aplats pour donner à ses illustrations une teinte unique et particulière.
Si son graphisme reste réaliste, certains choix le rapprochent d’un Bill Sienkiewitcz, notamment sur les quelques scènes cauchemardesques qui égrènent le récit.
Si certain.es pourront être déçu.es par ce parti pris radical, on ne peut qu’être admiratif devant un auteur qui ose se remettre autant en questions (lui aussi).
Un pur moment de beauté graphique parfaitement réhaussé par les couleurs de Jordie Bellaire.
Une version collector indispensable ?
The nice house on the lake a été un succès autant critique que public et il n’est pas aberrant de vouloir prolonger cette réussite par le biais d’une version collector.
Je vais être honnête, j’ai un problème avec les albums hors de prix surtout dans un moment où j’ai l’impression que la bande dessinée devient, petit à petit, un loisir de luxe.
Mais il faut croire que la France est amatrice de ce genre de petites gâteries.
Et après tout, s’il y a un public, pourquoi les éditeurs s’en priveraient-ils ?
Surtout que pour le coup, Urban Comics est assez honnête sur sa grille tarifaire et la collection Nomad est sans doute la proposition la plus ambitieuse, adaptée à la bourse d’un jeune lectorat. La Bd et notamment les comics ont besoin de se renouveler voire de rajeunir.
Reste qu’après cette réflexion, on peut se poser la question : cette version est-elle judicieuse ?
Si le côté intégral donne un vrai plus, je suis beaucoup moins convaincu par l’intérêt d’une version noir et blanc.
Personnellement, si le trait d’Alvaro Martinez Bueno est tout bonnement magnifique, on ne peut pas ignorer que la couleur de Jordie Bellaire fait partie intégrante du processus créatif de cet album.
J’ai toujours aimé les versions noir et blanc d’Urban mais elles doivent être pertinentes et non juste lucratives.
Ce n’est qu’un avis personnel mais Urban a commis par deux fois cette erreur : avec Do a Power Bomb et donc The Nice House on the lake .
Pire, elles sont moins réussies que leur version couleur.
Vu le prix de certaines, cela me semble une aberration.
En résumé
Avec The nice house on the lake, James Tynion IV et Alvaro Martinez Bueno nous offrent un des grands récits de l'année. Plus fantastique qu'horrifique, le récit de James Tynion IV est une réflexion autant sur l'humanité que sur le groupe ou l'amitié. Alvaro Martinez Bueno, pour l'occasion, modifie considérablement son style graphique, donnant à son dessin une puissance graphique cauchemardesque. Quant à Jordie Bellaire, il s'intègre parfaitement à ce processus créatif en proposant des ambiances délicieusement hallucinatoires. Et vous, que feriez-vous si c'était la fin du monde ?
Prix et récompenses
- N°1 du Top comics 2023 MTEBC
- Eisner Awards de la meilleure nouvelle série 2022
- Fauve de la meilleure série – Angoulême 2024
Pour lire nos chroniques sur : Soloist in a cage et La ville sans vents