Colère et poésie. Destruction et étincelle. Haine et amitié. L’adolescence est un fil sur lequel on vacille, entre deux gouffres. Et c’est cette envie d’exploser, qui est aussi pulsion de vie, que Stéphanie Richard met en scène dans son court roman Tout ira bien, aux éditions Sarbacane. Et quand on s’appelle Ira (« la colère » en latin), le coeur est une grenade dégoupillée.
Ira et Tess
Avec Ira, rien ne marche.
Elle a 14 ans. Elle vit dans une famille d’accueil chez Christine Bouchard, qu’elle appelle « la Bouche ». Une femme sans mari, sans enfant et sans animaux. Pour ne pas prendre de risque. Car Ira a déjà épuisé plusieurs familles d’accueil, qui ont préféré s’en « séparer » après qu’elle ait « dépoilé le chat » ou « poussé le bébé de la chaise haute ».
C’est une gamine qui sort les griffes dès qu’on essaye de l’attendrir ou de s’y attacher. Un chat sauvage.
Je la croise en bas de chez moi
Elle ne me reconnait pas
Je suis Ira, elle est ma mère
Je suis furie, elle est misère
Je suis debout pour toujours
Jamais je ne baisserai
Un cil devant vous
Au collège, elle est la terreur des fragiles, enseignants ou élèves. Mme Adès, la nouvelle prof de français, en fera les frais. Elle est entourée d’une petite meute. Pas vraiment des amis mais qui jouent avec elle à celui qui fera la pire, « chopée ou pas chopée » (souris morte dans cartable, feu aux poubelles de la cantine, clous dans pneu de vélo du CPE…)
Mais il y a Tess… Tess l’intello, Tess le moustique, Tess la bonne copine aux cheveux blonds.
C’était une proie idéale : elle ne connaissait personne et elle était jolie comme une poire.
J’ai d’abord tenté la base.
Je l’ai traitée de bourgeoise ; ça l’a fait marrer.
Je l’ai traitée d’intello ; elle m’a remerciée.
Trois semaines plus tard, elle se faisait élire déléguée.
Tess est aussi douce qu’Ira est piquante, aussi rieuse qu’Ira est sombre. Alors, c’est plus fort qu’elle : Ira veut du mal à Tess. Parce qu’elle incarne le bonheur, la famille, l’amitié, la gentillesse. « Sainte Tess ». Tout ce que la vie n’a pas donné à Ira et qu’elle exècre.
Pourtant, un lien va se créer entre elles. Particulier et explosif. Mais un lien tout de même, qui va permettre à Ira de transformer sa colère en élan.
Une écriture percutante et ciselée
Stéphanie Richard a été comédienne et son écriture est en effet très théâtrale. La voix d’Ira claque et sonne à travers ses mots. Les phrases sont ciselée, cisaillées plutôt. Même les poèmes qu’Ira écrit et qui jalonnent le roman sont de petits uppercuts.
Une chanson frousse
Que me chantait ma maman
Au fond de la brousse
J’écoutais avidement
Cette chanson frousse
Je ne la chanterai pas
Je n’serai pas douce
J’garderai ton combat en moi
La violence des mots et des gestes d’Ira tirent ainsi leur force, on le comprend, d’un coeur cadenassé par l’enfance bousillée. De la peur aussi. Celle d’être abandonnée. De devenir fragile parce qu’on pose sur elle un regard attendri ou attentif.
Ira sera une lionne ou ne sera pas.
Ce qui frappe dans ce texte coup de poing, c’est la justesse des mots. Ceux de cette jeune fille qui renvoie chaque main tendue dans les cordes. Mais aussi la tendresse qui pointe son nez, celle d’un pardon qu’on ne sait pas comment dire. Une maladresse de chat sauvage. La force enfin, brute et fracassante, des mots et des poings.
Je me suis jetée
Dans les escaliers
Le corps en tas
Comme un sac de billes
Et c’est bien
Je crois
Intuitivement, je crois
Sans savoir pourquoi
Pourquoi lire Tout ira bien ?
Ce roman de Stéphanie Richard, "beau et court" comme la collection auquel il appartient, ne laisse pas indifférent. Comme la jeune Ira, il secoue et percute. Mais il crée aussi des étincelles et montre toute l'humanité de cette gamine qui va trouver sa voie / sa voix par les mots et les poings.
« Est-ce qu’on peut empêcher le printemps de venir, lors même qu’on couperait toutes les forêts du monde ? » (Louise Michel, La Commune, 1898).
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