Mots Tordus et Bulles Carrées

Béa Wolf ( Boulet / Zach Weinersmith )

Jeux et friandises à foison étaient le quotidien des enfants qui, au fil du temps, ont créés un lieu de rassemblement : la cabane de coeur d’âme.
À sa tête, siège le roi Roger.
Mais, après une période faste, il affronte une menace mettant en péril son royaume : Mr Grindel.
Cependant, Béa Wolf, une jeune fille venant du quartier voisin, compte bien régler son compte au vieil homme aigri.

Quand le monde des enfants s’empare de la légende de Beowulf

Une adaptation originale et inédite

Mr Grindle

Avec Béa Wolf, Zach Weinersmith propose une réécriture, sous forme de comics jeunesse, du célèbre poème anglo-saxon : Beowulf.
Ce récit épique n’en est pas à sa première (ré)interprétation (nous pourrions citer Grendel Kentucky sorti chez Delcourt Comics) mais il faut bien avouer que l’affrontement entre le héros Béowulf et la créature mangeuse d’homme Grendel a une portée universelle.
Et c’est en ayant bien conscience de cela que Zach Weinersmith nous propose sa version enfantine du poème.
Un concept qui peut effrayer, surtout quand on sait que Grendel est un monstre qui dévore des humains.

Du coup, il a fallu élaborer certaines adaptations.
Déjà sur la forme.
Les guerriers Goths deviennent des enfants alors que Grendel se transforme en vieil homme acariâtre et ennuyeux.
On notera aussi de légères modifications en vue de simplifier l’oeuvre d’origine.
Zach Weinersmith explique que Beowulf est une oeuvre vaste, composée de multiples histoires, divisée en 3 grandes parties.
Ici, l’auteur se concentre sur la première et la plus connue d’entre elles.
Ce qui ne l’empêchera pas de digresser par moment pour développer, notamment, un évènement charnière de l’histoire de Béa Wolf.

Malgré de nombreux changements, il montre un respect total pour l’oeuvre originale que l’on retrouve dans les noms ( Béa Wolf, Grindel, Roger …), les lieux et les trames.
Pourtant, les surprises sont nombreuses.
Les trouvailles, toujours plus ingénieuses, de l’auteur réussissent à adapter ce récit à un lectorat plus jeune mais néanmoins gourmand d’aventures en tout genre.

Sur la forme, Zach Weinersmith adopte une prose littéraire en accord avec l’oralité du poème.
Bien sûr le langage est simplifié mais l’écriture et le vocabulaire restent élaborés.

Sur le fond, l’aspect jeunesse est parfaitement retranscrit sans pour autant édulcorer son sujet.
Si Mr Grindel ne dévore pas d’enfants, il n’en est pas moins dangereux pour ceux qui se retrouvent frappés par la malédiction du vieil homme.

Pour eux, rien n’est plus désastreux que de devoir grandir subitement.

Garder son âme d’enfant

Le terrible pouvoir de Mr Grindel

Car au final, derrière cette réécriture se cache un hymne à l’enfance.
D’ailleurs, le récit commence par une ode aux enfants qui, grâce à un butin inattendu, vont construire un royaume où tout est permis.
Sauf devenir adulte.
En effet, l’adolescence sonne la fin de partie et le début des responsabilités.

Les enfants rois unis par le jeu, les chants et le sucre ne se soucient pas de l’avenir.
Du coup, ils s’amusent toutes les nuits, quitte à attirer l’attention d’une personne n’appréciant guère cette joie de vivre.
Il n’est sans doute pas anodin que Mr Grindel soit un vieil homme solitaire, aigri, chez qui rien ne déborde.
Sa vie s’oppose radicalement à celle de ces enfants et si pour eux, il est horrible de devenir adulte, pour lui, il n’y a rien de plus détestable que ce monde enfantin.

De son côté, Beowulf, figure masculine du héros, devient une jeune fille intrépide et audacieuse.
Elle ne recule devant aucun combat et impose le respect.
Avec ce personnage, Zach Weinersmith fait de Béa Wolf une véritable figure héroïque, symbole de nos sociétés modernes.

Boulet (enfin) au sommet de son art

règlement de compte à coups de balle au prisonnier

Si ce projet étonne, c’est autant pour son contenu que pour la présence assez inattendue d’un de ses auteurs : Boulet.

Si on ne s’attend pas à voir le dessinateur de Donjon sur un tel projet, on apprécie immédiatement sa prestation graphique qui illustre à merveille les propos de son scénariste.
Le travail fourni est impressionnant et on le sent inspiré par cette collaboration franco-américaine.

Boulet est un dessinateur talentueux qui fascine par une technique si maitrisée qu’elle donne l’impression que le dessin est abordable pour n’importe qui.
Cependant, ses incursions dans le monde de la bande dessinée ne montraient pas, jusque là, le réel potentiel de l’auteur.
C’est chose faite avec Béa Wolf.
On se régale des multiples propositions graphiques, de la finesse de son trait, de la gestion de sa lumière et de ses ombrages.
Car l’album, entièrement réalisé en noir et blanc, offre un aperçu net et précis du coup de crayon de son auteur.

La plupart des illustrations sont à tomber par terre, même si on retiendra avant tout celles mettant en scène les adultes, et notamment Mr Grindel.
Par certains égards, il frôle la caricature, lorgnant vers le défunt magasine américain MAD.

En résumé

Derrière cette interprétation de la légende de Beowulf, Zach Weinersmith propose avec Béa Wolf un hommage vibrant à l'enfance. 

Un monde où on profite de la vie et où l'on s'amuse avant de devenir des adolescents un peu idiots puis des adultes ennuyeux et responsables.
Ici le monstre transforme les enfants en adultes et les défis se règlent à la balle aux prisonniers dans des illustrations aux crayonnés d'une finesse exquise.

Un plaisir d'autant plus décuplé que Boulet au sommet de son art.

Prix et récompenses

  • N°1 du top bd jeunesse 2023 – MTEBC

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Bulles Carrées

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