Jusqu’ici tout va bien (Nicolas Pitz)

Au grand dam de Douglas, toute sa famille quitte la « plus grande ville du monde » pour une petite bourgade ennuyeuse : Marysville.
Pendant que son père se plaint de son nouveau job, le jeune homme erre dans le centre pour éviter les brimades de son frère ainé.
Il y rencontre Lilly qui l’oblige, pour la première fois, à franchir la porte d’une bibliothèque.
À l’intérieur, il y fera la découverte des dessins de Jean-Jacques Audubon.
Une révélation pour l’adolescent.

Une adolescence américaine

Chercher à faire sa place

Une quête de réunification

Jusqu’ici tout va bien de Nicolas Pitz est l’adaptation du roman éponyme de Gary D. Schmidt.

Alors que les Etats-Unis s’embourbent dans la guerre du Vietnam, la famille Swieteck migre pour une petite bourgade, loin de l’effervescence de la mégalopole New-Yorkaise.
Et pour le gamin qu’est Douglas « Dogg », cette décision confine à l’hérésie.
Narrateur, on suit l’histoire à travers son regard et ses ressentiments face à un entourage qu’il ne semble pas beaucoup estimer.
Cependant, derrière cette carapace de rebelle, se cache un adolescent perturbé et complexe.
Douglas cherche tout simplement la reconnaissance de son entourage.
Ce qu’il n’obtient aucunement de sa famille, il doit le chercher à l’extérieur auprès de personnages divers : Lilly, M. Powell le bibliothécaire, Mme Windermere une amatrice de glaces et tant d’autres.

Foncièrement attachant, l’adolescent se donne cette carapace de rebelle.
Mais comme pour beaucoup d’ados, cette imagerie sert, avant tout, à cacher ses fêlures.
Elles lui collent littéralement à la peau et le marquent autant physiquement que psychologiquement.
Alors, il les camoufle, aidé en cela par des techniques d’évitement particulièrement rodées.
Si certaines sonnent comme des évidences, d’autres seront les témoins de rapports familiaux particuliers.
Fatalement, le déguisement va craquer.
Jusqu’ici tout va bien.
Une fois le vernis disparu, il faut faire face à la vérité et elle n’épargne personne.

On pourrait voir Douglas comme un archétype d’une adolescence perturbée.
Mais le récit se veut plus malin et cherche à surprendre nos attentes.
On s’étonne de le voir se passionner pour les illustrations des « oiseaux d’Amérique » de Jean-Jacques Audubon allant jusqu’à en faire une quête personnelle.

Faut-il y voir une symbolique avec le parcours de cet enfant qui, pièce par pièce, cherche à recomposer une oeuvre unique ?

Illustration originale de Jean Jacques Audubon

Une famille dysfonctionnelle ?

Dernier moment de joie

Jusqu’ici tout va bien met en scène une famille à une époque où le patriarcat a un pouvoir écrasant.
Sans aucune remise en question possible.

Avec la famille Swieteck, Jusqu’ici tout va bien semble décrire une cellule familiale de la classe moyenne américaine des années 60.
Une mère cantonnée aux tâches ménagères, un frère délinquant, un autre au Vietnam, un père autoritaire dont les rapports se limitent à des routes régulières.
Et au milieu de tout cela, Douglas, un adolescent de 14 ans qui voudrait échapper à ce schéma.

Cependant, le récit évite habillement la caricature et développe un traitement des personnages plus subtil qu’il n’y parait.
Tout n’est pas si simple. Il faut comprendre ce qui se joue entre chacun des membres de cette famille.
Le mensonge et la violence gangrènent leurs rapports et ils vont devoir apprendre à mieux se connaitre (et se pardonner) pour combattre une ennemi en commun.
A aucun moment, le récit ne tombe dans la facilité.
Il tape juste et réussit autant à nous émouvoir qu’à nous choquer sans jamais tomber dans le pathos.

Dépassant le fatalisme de base, le récit décrit une adolescence perdue mais prête à se prendre en main pour changer sa destinée.

Les couleurs du bonheur

Noir et blanc et couleur

Pour ce projet, le trait de Nicolas Pitz a particulièrement évolué.
Pour être totalement honnête, les choix graphiques opérés par le dessinateur m’ont un peu perturbé.
La sobriété des parties en noir et blanc seulement rehaussées par des fonds grisés m’ont paru assez désuètes.
Le fond et son côté charbonneux donnent de la texture à l’ensemble mais étouffent par moment le dessin.
À cet égard, j’ai une légère préférence pour le traitement opéré sur la couverture, ce qui d’ailleurs, a dû perturber mon appréciation.

Car, en réalité, et en enlevant toute considération de goût personnel, le travail de Nicolas Pitz est particulièrement intéressant.
On sent une véritable réflexion narrative, notamment dans la colorisation qui n’apparaît qu’à des moments particuliers.
S’axant autour des pensées de Douglas, il est intéressant d’avoir fait de ses émotions un outil narratif pertinent.
Cette approche, en plus d’être pertinente, apporte une luminosité toute particulière aux illustrations d’oiseaux , toutes hypnotisantes de beauté.

En résumé

Jusqu'ici tout va bien de Nicolas Pitz est une parfaite retranscription du roman éponyme de Gary D. Schmidt. 

L'auteur s'empare de ce récit avec finesse et inventivité.
Ainsi, le parcours de Douglas, jeune adolescent dans l'Amérique des années 60, échappe au pathos grâce au traitement de subtils rapports familiaux et humains.
L'oeuvre est aussi un hommage vibrant à un illustrateur naturaliste, méconnu pour ma part : Jean-Jacques Audubon.

Graphiquement, le traitement peut être étonnant mais Nicolas Pitz a su utiliser sa colorisation comme un véritable outil narratif, renforçant ainsi l'émotion et la puissance du récit.

Cette oeuvre coup de coeur (et coup de poing) aborde de nombreuses thématiques tout en nous attachant à des personnages d'un profond humanisme.
Une magnifique découverte.

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