Pierre est le veilleur des brumes.
Elevé à cette tâche par un père qui l’a abandonné, le jeune cochon passe ses journées à surveiller les mécanismes complexes du barrage, seul bouclier face aux assauts de plus en plus féroces de la brume.

Ce rôle primordial, personne ne semble en avoir conscience hormis Roxane, sa seule amie.
Un soir, elle retrouve Pierre accompagné de Roland lorsqu’une vague frappe avec violence le barrage et emporte les 3 enfants.

Une oeuvre hors norme

Un duo d’auteur

Robert Kondo et Dice Tsutsumi sont deux anciens employés de Pixar (le premier étant directeur artistique et le second animateur).
Fort de cette expérience, ils créent Tonko House et collaborent à la mise en place de nombreux projets de courts et longs métrages animés.
L’un d’entre eux, le veilleur des brumes se fait remarquer et remporte un nombre conséquent de prix et de nominations.
Et pour cause, l’œuvre, saisissante de beauté, joue habilement avec nos émotions.

Fort de ce succès, ils décident d’adapter leur histoire en format comics, publiée chez First Second et traduite en France chez bande d’ados.
On aurait pu craindre une simple retranscription de l’œuvre originale, ce qui n’en aurait fait qu’un simple objet bancal entre la bd et le film d’animation.
Or, les auteurs ont conçu cette adaptation avec sérieux en accordant une place aussi importante à la partie graphique qu’à la narration.
C’est qu’ainsi qu’ils ont pu faire de ce comics un véritable petit bijou de la littérature jeunesse.

Un univers graphique subjuguant

Graphiquement, le style et la mise en page de Dice Tsutsumi sont tout bonnement épatants.
Réalisé entièrement sur Photoshop, on retrouve la patte graphique si typique du film d’animation.
Je trouve même que la puissance de son trait y est, ici, décuplé.
Certaines planches sont de véritables peintures numériques où chaque élément est traité avec soin.
Les nombreuses doubles pages sont hypnotisantes de beauté et leur impact graphique est considérable.
Les décors sont variés et les ambiances oscillent entre la douce mélancolie et la gentille folie.
Le rythme effréné de l’album alterne avec brio les moments de tension extrême avec d’autres plus calmes, proches de la contemplation.
Un sentiment de tristesse teinté de poésie transpire dans chacun des dessins de Dice Tsutsumi.
Un sentiment qui retranscrit parfaitement l’état d’esprit du personnage principal : Pierre.

Action et émotion

Ce qui surprend d’emblée dans le veilleur des brumes, c’est sa facilité de lecture.
On est complètement emporté par les 500 pages de cet intégral et on enchaîne les pages sans s’en rendre compte.

Pur récit d’aventure, l’intrigue se démarque par son rythme et ses multiples rebondissements.
Rares sont les récits jeunesses qui peuvent transporter leurs lecteurs avec autant d’aisance, surtout que l’ambiance sombre et un peu désabusée des premières pages pourrait en effrayer certain(e)s.
Cependant, Robert Kondo a su distiller des petites doses d’humour, tout en évitant de tomber dans le larmoyant.

Les personnages sont des rouages importants et forment une galerie variée et attachante.
Notre trio d’aventuriers, composé de Pierre, Roxane et Roland n’est certes pas des plus originaux mais son traitement n’en est pas moins intéressant.
Pierre, le héros par nécessité, se démarque par la solitude de sa tâche.
Alors qu’il est nécessaire à la survie du village, tout le monde le rejette.
Au début du récit, une profonde mélancolie traverse le personnage et cette aventure va l’amener à mieux se connaitre et à prendre petit à petit confiance en lui.
Roxane est la seule amie de Pierre.
Soutien infaillible, elle est la gentillesse incarnée. Celle qui a une croyance sans faille en l’amitié, ce qui l’amène à côtoyer Roland.
Peut être le personnage le plus complexe avec Pierre.
Derrière cette carapace de brute un peu bêta se cachent des fêlures liées à un rapport familial compliqué.

Au final, c’est la subtilité qui domine dans l’écriture.
Une subtilité qu’on retrouve dans les thématiques abordées.

Un sous texte profond

La famille , tout d’abord, qu’elle soit absente, réprobatrice ou généreuse, ancre des liens profonds entre certains personnages.
Les auteurs n’apportent aucun jugement moral mais démontrent que les rapports familiaux ne sont pas toujours faciles et que l’incompréhension peut amener à certains ressentiments injustifiés.
Les enfants cherchent continuellement à prouver leurs valeurs mais ne s’en sentent pas toujours légitimes.

Des questionnement importants même si, en réalité, c’est la réflexion écologique qui prédomine.
On le comprend assez vite quand, lors d’une double page dantesque, Dice Tsutsumi met en image l’énorme vague de brume qui risque d’engloutir Val-de-l’aube.
Comment ne pas faire le rapprochement entre la brume et les catastrophes naturelles que subissent certains pays ? Et ces catastrophes ont-elles vraiment une cause naturelle ?
Les vagues, de plus en plus puissantes, répondent peut être aussi à une certaine incompréhension des besoins de la nature face à l’être humain (ici, animal).
Pierre, lors d’une de ses étapes de voyage, se demande pourquoi les habitants des villages polluent leur propre lieu de vie.
L’impact de l’homme dans certaines catastrophes naturelles est une thématique que l’on retrouve aussi dans Space Boulettes de Craig Thompson.

D’une certaine façon , le veilleur des brumes tente de démontrer que l’on gagne plus à comprendre la nature plutôt qu’à la combattre.

En résumé

Le veilleur des brumes de Robert Kondo et Dice Tsutsumi est un véritable coup de coeur. 

Avec ses personnages attachants, la richesse de son univers et son propos écologique, Robert Kondo offre une lecture facile d'accès et absolument addictive. 
La patte graphique, puissante et originale, de Dice Tsutsumi fascine et ses compositions nous emportent dans un univers sombre qui laisse cependant une petite brèche à l'espoir. 

Une oeuvre saisissante de beauté et d'émotion. 

Récompenses

• Nomination aux oscars 2015 / Catégorie film d’animation
• Prix des enfants / Festival le temps presse 2015
• Sélection officielle de la Berlinade 2014
• Prix des enfants / Festival international du film de New York
• Prix du jury des jeunes / Toronto International Film Festival
• Golden Gate Award / Festival international du film de San Fransisco

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