Limbo Hotel (Enrique Fernandez)

Lieu de vie et de convivialité, le Limbo Hotel n’est plus.
Son propriétaire, le taciturne Kein, s’inflige une morne routine en répétant inlassablement les mêmes gestes.
Cette solitude va être bousculée par l’apparition mystérieuse d’Hayden, tout jeune poupon que le vieillard décide d’élever… à sa façon.

Quand le deuil percute l’éducation

La monotonie d’un homme solitaire

Toujours les mêmes gestes

Contrairement à ce que laisse entrevoir la couverture de Limbo Hotel, le dernier bébé d’Enrique Fernandez n’est pas des plus gais.
Et ce sentiment profond de tristesse tient en un seul nom : Kein.
À l’image des premières pages, le vieillard s’est plongé dans une solitude rythmée par une routine quasi militaire et muette.
Le seul mot qui sort de sa bouche : un « NO » retentissant et fracassant, sonnant comme la fin de la discussion.
Les mêmes gestes, jour après jour, ancrent le quotidien morne d’un environnement que les clients ont déserté depuis des années.
Pourtant, les quelques photographies glanées ici et là, laissent entrevoir un passé festif où les sourires n’étaient pas interdits.
Mais depuis la disparition de sa femme Cory, plus rien ne semble avoir de sens pour le vieil homme.

À travers cette introduction, Enrique Fernandez nous plonge dans les antres d’un deuil qui peine à être consommé.
D’une certaine façon, on comprend que le comportement du vieil homme a fait fuir les clients.
Mais rien ne semble pouvoir briser cette morosité.
Jusqu’à ce que ce silence oppressant soit rompu par l’arrivée impromptue d’un bébé laissé à l’abandon.

L’éducation par un homme endeuillé

Vaincre la solitude par l’imagination

L’apparition d’Ayden sur les terres du Limbo Hotel symbolise toute l’étrangeté qui règne tout au long de ce récit.
Enrique Fernandez est un grand amoureux des ambiances fantastiques.
Il invente des univers fantasmagoriques sans forcément apporter de résolution aux questionnements des lecteur-rices.
Ainsi, on n’en saura pas vraiment plus sur Ayden, même si certains indices poussent aux interprétations diverses et variées.
Sachant que Cory était enceinte avant de mourir, on peut voir l’arrivée de cet enfant comme un reflet d’une paternité perdue.
Mais ceci n’est qu’une interprétation parmi d’autres.

Et peu importe, le propos du sujet reste le même.
En effet, Kein prend en charge le jeune garçon mais lui inculque sa propre routine.
Il lui apprend les gestes et lui impose une monotonie que l’enfant va rapidement remettre en cause.
Petit à petit, Kein se retrouve le client d’un Ayden qui rêve de liberté.
Car le jeune garçon n’est pas comme le vieillard et c’est normal, il n’a pas le même vécu.
Contrairement à ce dernier, il refuse cette solitude et s’invente, grâce à la lecture, un cheptel de clients, tous plus fantaisistes les uns que les autres.
L’un d’eux, Monsieur Crow l’amène à réfléchir sur son sort.


« Repasser, tailler, laver, frapper, balayer… Ces efforts ont-ils suffi à rendre tout le monde heureux aujourd’hui ?  »

— Mr Crow, ami imaginaire

D’une certaine façon, Kein fait subir sa tragédie au jeune enfant, qui n’a rien demandé.
Ayden aurait pu lui apporter un certain réconfort mais rien n’y fait… le vieillard s’est enfermé dans une tristesse qui confine à la colère.
Une colère, qu’à juste titre, Ayden

D’une certaine façon, Kein fait subir sa tragédie au jeune enfant, qui n’a rien demandé.
Ayden aurait pu lui apporter un certain réconfort mais rien n’y fait… le vieillard s’est enfermé dans une tristesse qui confine à la colère.
Une colère, qu’à juste titre, Ayden ne supporte plus.

À travers ce conte fantastique, Enrique Fernandez nous montre comment un deuil peut changer un homme et emporter son entourage.
La fin, douce amer mais un peu brutale, n’apporte d’ailleurs pas de solution toute faite même si pour Ayden, elle sonne comme un nouveau départ.

Une inégale générosité

Un graphisme magnifique

J’ai toujours beaucoup apprécié le travail d’Enrique Fernandez.
Il commence sa carrière de façon classique avec, entre autres, le magicien d’Oz puis enchaine les projets personnels comme Brigada.
Plus récemment, il retrouve la bande dessinée jeunesse avec Hammerdam.
Sur ce projet, il opère une simplification graphique que l’on retrouve, en partie, sur les pages de Limbo Hotel.
Si l’auteur a toujours su se montrer généreux, on ne peut nier que ses scénarios souffrent, par moment, d’un manque de clarté laissant certain.es lecteur.rices sur la route.

Avec Limbo Hotel, Enrique Fernandez opère une mue graphique fusionnant ses travaux précédents avec cette nouvelle approche réalisée sur Hammerdam.
Ainsi, on apprécie la simplicité des designs de ses personnages alliée à la minutie de ses décors magnifiés par la colorisation.
L’auteur, adepte de colorisation informatique, maitrise cette technique à la perfection.
Il alterne différentes approches avec une facilité déconcertante.
La narration ne cherche pas à perdre son lecteur dans une effusion graphique comme cela pouvait être le cas sur certains de ses travaux.

Limbo Hotel réussit parfaitement à nous emporter.
Même si la fin est un peu déconcertante, elle témoigne que tout n’est pas aussi facile que dans les contes.

En résumé

Limbo Hotel d'Enrique Fernandez est un récit jeunesse où l'esprit fantasmagorique d'un jeune enfant côtoie la profonde tristesse d'un vieil homme. 

Ce conte fantastique, enveloppé par la morosité et la solitude de Kein, ne trouve que peu de répit dans les fantaisies d'un jeune garçon essayant de combler sa solitude.
À travers cette histoire, Enrique Fernandez illustre tout le mal être que peut engendrer un deuil si on ne l'accepte pas.

Sans surprise, le dessin est magnifique et assimile parfaitement la transition graphique entamée avec Hammerdam.

Un récit où la tristesse laisse la place à la colère, permettant cependant un espace de liberté et d'évasion.

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