Le Shaolin Cowboy traverse le désert à dos d’une mule bien trop bavarde.
Sur son chemin se dressent des hommes et des femmes prêts à en découdre.
Mené.es par le Roi Crabe, ils désirent tous se venger du paisible combattant.
Enfin, pas si paisible que cela.
Un pur shoot d’action
Un lot continu de baston
À première vue, The Shaolin Cowboy de Geof Darrow sonne comme une bonne tranche d’action avec option « Cerveau Off ».
Il faut dire que l’auteur n’est pas un novice.
Accompagné de Frank Miller, il nous avait mitonné des purs blockbusters sur papier avec Hard Boiled et Big Guy et Rusty.
Avec The Shaolin Cowboy, il réitère l’exercice mais cette fois-ci en mêlant ses aspirations asiatiques et texanes.
Un mélange qui ne peut que faire des étincelles.
Pourtant, le moine chauve ne paie pas de mine avec sa chemise rouge et son jean tout propret.
Mais dès que le bonhomme sort son sabre, les choses prennent une toute autre tournure.
Le sang gicle et les têtes tombent par dizaines.
Il faut dire qu’entre ses préceptes shaolin et sa morale de « garçon vacher », le combattant n’est pas facile à éliminer.
Tout au long des quatre volumes, le Shaolin Cowboy affrontera une horde de rednecks, des zombies acharnés, une truie légèrement furieuse et d’autres créatures aux évolutions aussi bizarres qu’inattendues.
Geof Darrow s’amuse à créer des boss dignes d’une basse-cour mais aussi féroces que des Kaijus.
Tout est un délire continuel qui ne cherche pas d’explication. C’est foisonnant, complètement tordu et follement régressif.
Les animaux parlent, ont une vie de famille ou de couple mais peuvent très bien terminer leur existence dans un restaurant de quartier.
Le monde de The Shaolin Cowboy est particulièrement injuste et amène fatalement à une violence exacerbée.
Ainsi ce massacre organisé a bien une raison.
La vengeance est au centre du récit et converge vers les actions passées du Shaolin Cowboy.
Si le décalage n’était pas aussi déroutant, on pourrait même se laisser attendrir par le récit du Roi Crabe.
Mais voilà, la vie n’est pas aussi simple.
Une mise en image puissante
Graphiquement, Geoff Darrow enchaine les prouesses avec une facilité déconcertante.
Les designs sont inventifs et les décors foisonnants, sans pour autant étouffer la narration.
On passe des heures à admirer des planches aux multiples détails.
La mise en page retranscrit à la perfection les chorégraphies impeccables des nombreux affrontements.
Si ce côté « action movie » avait tout pour être redondant, l’auteur a su apporter du renouveau par son inventivité narrative.
À ce niveau, le second volume est une véritable prouesse technique.
Le dessinateur anglais met en scène sur l’entièreté de l’album un combat complètement hallucinant contre une horde de zombies.
Le rythme ne cesse d’évoluer, ralentissant puis s’accélérant pour se terminer de façon aussi brutale que surprenante.
C’est aussi la force de Geof Darrow : trouver le moment parfait pour nous clouer à notre siège.
Dave Stewart lie l’ensemble grâce à une palette de couleurs inspirée, jouant avec les textures et les détails comme lui seul sait le faire.
Cette combinaison fait de The Shaolin Cowboy un comics d’une richesse graphique absolue au service d’un scénario brutal, jouissif mais assaisonné d’une pointe de cynisme.
Une socièté violente et revancharde
La vengeance est un plat qui se mange… chaud
Sur les premiers volumes, le propos de The Shaolin Cowboy se limite à une bonne empoignade.
Les rednecks seront omniprésents sur toute la saga mais on retient avant tout cette volonté vengeresse du Roi Crabe.
Désir légitime du crustacé qui n’hésite pas à se servir de ses hommes de mains comme de la chair à canon.
D’ailleurs, leurs morts violentes passent souvent inaperçues, comme le montre avec ironie une des scènes du tome 4.
La vengeance reste le leitmotiv de la série.
Or, pour le Shaolin Cowboy, qui ne réfute pas ses fautes, une seule solution s’impose : la pardon.
L’homme ne cherche pas le conflit. On le lui impose et sa férocité est avant tout le reflet de l’obstination de ses adversaires.
Sur le quatrième volume, l’auteur inverse les rôles.
C’est au tour du Shaolin Cowboy de réclamer vengeance.
Ce volume se veut comme un cadeau bonus à la trilogie initiale et détourne une partie des codes que Geof Darrow avait mis en place sur les tomes précédents.
L’idée est intéressante et donne aussi l’occasion de régler leur compte aux derniers rescapés.
La vengeance se savoure jusqu’à la dernière page.
Une mise en abîme de la socièté américaine ?
Beaucoup voient dans The Shaolin Cowboy un pamphlet contre l’Amérique trumpiste.
Il est évident que Geof Darrow n’est pas particulièrement tendre envers cette vision d’une Amérique raciste, sexiste et obsédée par la possession des armes à feu.
Cette anti-trumpisme est assez bien symbolisé par une illustration mettant en scène l’homme politique face au Shaolin Cowboy.
Petit à petit, le ton se veut plus acerbe
Alors que les Etats-Unis sombrent, Geoff Darrow transforme sa colère en défouloir.
Les pics sont nombreux et pointent du doigt la NRA et les partisans d’une politique qu’il juge néfaste.
Il est toujours un peu délicat de dénoncer la violence d’un pays dans une série qui l’est extrêmement.
Malgré tout, on remarquera que certains signes ne trompent pas.
Le héros en premier lieu n’utilise plus d’arme à feu à partir du 3eme volume et le détournement du quatrième tome exprime, d’une certain point de vue, une forme d’auto-critique.
Reste que la critique la plus virulente porte sur les américains eux-mêmes.
Quand ils ne sont pas obnubilés par leur téléphone portable, ils se retrouvent à suivre comme des moutons un chef qui les emmène droit dans le mur.
D’une certaine façon, la femme dont le cerveau est happé par le Roi Crabe est un symbole très fort de ce qui se passe en Amérique ( mais pas seulement ) en ce moment.
En résumé
The Shaolin Cowboy de Geof Darrow est un délire d'action dantesque et jouissif.
Tout au long de ses 4 tomes, l'auteur nous offre un spectacle généreux et régressif peuplé d'animaux revanchards dans des décors foisonnants de détails.
Les délires visuels de l'auteur sont au service d'affrontements chorégraphiés poussant toujours plus loin les limites de l'extrême.
Par le biais de cette sanglante vendetta, Geof Darrow jette un regard acerbe sur une Amérique trumpiste, peuplée de rednecks tous plus abrutis les uns que les autres.
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