Armée de Golddiger, un Smith & Wesson, Ricky Toledo est en quête de vengeance.
3 ans plus tôt, sa famille a été brisée par l’arrivée d’un jeune homme dont elle est tombée amoureuse.
Depuis, l’homme, toujours en activité, écume son passage de cadavres mais la jeune femme compte bien y mettre un terme.
Le polar made in Lapham
Scénaristes en couple
Soyons clair, Lodger de Maria et David Lapham est une oeuvre exigeante.
Pas nécessairement sur le fond mais sur une forme qui joue avec la temporalité tout en cherchant à, volontairement, brouiller les pistes.
Autant dire que ce n’est pas le genre de comics qu’on lit en dilettante.
Un scénario des Lapham, cela se déguste avec une attention toute particulière.
Tous ceux qui ont eu la curiosité de jeter un oeil à Stray Bullets le savent déjà.
David Lapham est un maître de la manipulation, de la tension, des flash-back et des retournements de situation à la dernière minute.
Le tout agrémenté de personnages hauts en couleurs, terriblement humains.
On retrouve tout cela dans Lodger.
En plus court et avec moins de pages pour développer une intrigue dense mais avec cette qualité d’écriture qui caractérise les meilleurs polars.
En sachant qu’en prime Lodger devient une magnifique porte d’entrée aux univers de David & Maria Lapham.
D’ailleurs, parlons-en de Maria Lapham.
Longtemps invisible dans les crédits de Stray Bullets, elle est pourtant un rouage primodial et il était temps de lui donner la place qu’elle mérite aux côtés de son mari.
La vengeance est un plat qui se mange froid
Les premières pages de Lodger des Lapham sont perturbantes.
On entre directement dans le récit en découvrant Ricky Toledo lancée dans une chasse à l’homme.
Pour quelle raison ? Il faudra attendre le second chapitre pour en savoir plus.
De même, la narration est entrecoupée par les pensées d’un homme tiré d’un quelconque réseau social.
Quel est le lien avec la jeune fille ? Là aussi, il faut apprendre à être patient.
Dans l’ensemble, rien n’est mis en place pour nous faciliter cette entrée en matière.
Perdu.e, comme le personnage principal, on doit se laisser porter en attente de clés qui ne tarderont pas à nous parvenir.
Ainsi, on comprend que l’homme qu’elle recherche est lié à son passé et à sa famille, une famille décomposée avec une mère décédée et un père en prison.
Derrière cette situation se cache un homme inaccessible qui sème les cadavres sur son passage.
Un tueur en série que Ricky compte bien éliminer une bonne fois pour toutes.
Mais cette simple quête de vengeance s’avère bien plus complexe qu’elle n’y parait.
Au fil des révélations égrainées tout au long des nombreux flash-back, les auteurs montent pièce par pièce un puzzle aux multiples ramifications.
Le diable se joue dans les détails et, comme le préconise Ed Piskor dans l’avant propos, nous devons scruter les planches à la recherche du moindre indice caché.
Car, au final, les personnages de Lodger que décrivent David et Maria Lapham n’ont rien d’extraordinaire.
C’est d’ailleurs cette banalité qui les rend touchants, détestables et un peu pathétiques.
Ce ne sont, finalement, que des hommes et des femmes ordinaires qui se retrouvent plongés dans une situation qu’iels ne maitrisent plus.
Une caractérisation implacable comme dans un bon film des frères Coen.
L’art du noir et blanc
Je ne le dirais sans doute jamais assez, mais David Lapham fait partie des grands auteurs de comics et mériterait sans doute une reconnaissance bien plus grande.
En attendant de se jeter sur Stray Bullets, on peut déjà se régaler de la qualité graphique de Lodger.
À quelques exceptions près, la grande majorité de la bibliographie de David Lapham, en tant que dessinateur, s’est essentiellement faite en noir et blanc.
Mais à l’image d’un Terry Moore, il a fait de cet inconvénient (pour faire des économies, en gros) une véritable marque de fabrique.
Pourtant, dessiner un récit complet sans avoir le support de la couleur n’est pas des plus aisés.
Cela demande non seulement une maitrise solide du dessin mais aussi un encrage assez marqué pour qu’il prenne la place de la couleur.
Or, de côté là , David Lapham n’a franchement pas à rougir de son travail.
Si son style est beaucoup plus classique que celui d’un Frank Miller, il n’en est pas moins impressionnant de technicité.
Le noir est, au final, assez peu présent dans ses planches, ce qui l’oblige à une variation d’encrage apportant du volume et de la densité à des planches qui fourmillent de détails.
Sa narration, symbolisée par sa mise en page en gaufrier, démontre un intérêt tout particulier pour la simplicité et une parfaire lisibilité de lecture.
L’éclatement narratif de Lodger est déjà bien assez complexe sans que l’auteur ait besoin de rajouter le moindre élément perturbateur.
La mise en page est nécessairement simple.
En résumé
Lodger de Maria et David Lapham est un pur récit de vengeance à la narration décomplexée et aux multiples rebondissements. Sombre, violent et magistralement exécuté, Lodger est une histoire d'amour / haine qui mêle famille et meurtres en séries. Un cocktail détonnant qui demande aux lecteurs une véritable attention de lecture pour ne pas se perdre dans les méandres du scénario. Lodger est, en plus de sa qualité intrinsèque, une porte d'entrée impeccable pour découvrir leur chef d'oeuvre : Stray Bullets.
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