Madelaine avant l’aube (Sandrine Collette)

Sandrine Collette dit la terre et les corps comme personne. Les liens qui unissent les familles aussi, au-delà des mots. De retour après On était des loups avec Madelaine avant l’aube, l’autrice nous plonge dans un paysage sans âge, au coeur d’un hameau isolé où vivent trois générations d’hommes et de femmes qui travaillent la terre. Des êtres qui ploient sous le poids des choses et d’un ordre contre lequel ils ne peuvent rien. Jusqu’à l’arrivée de Madelaine, une jeune fillette affamée sortie des bois, qui va allumer l’étincelle dans ces coeurs figés.

Madelaine, la sauvageonne

Aux Montées, seules trois fermes ont germé entre le fleuve, les champs et les forêts. Celle de Rose d’abord, la vieille guérisseuse, qui vit seule avec Bran depuis que ses fils sont partis. Celles d’Aelis et Ambre, les jumelles qui n’ont pu se résoudre à se séparer et vivent, chacune avec leur mari, côte à côte. Aelis a épousé Eugène et ils ont eu cinq enfants, dont deux sont morts depuis – car on meurt souvent ici avant d’avoir 10 ans. Ambre a épousé Léon mais aucun enfant n’est venu.

La vie s’est comme figée aux Montées. Les saisons passent, avec leur lot de froid, de chaleur accablante et de faim. Tout semble immuable. Le pouvoir des Ambroisie, la famille qui règne sur ces terres, en premier lieu. Ils ont droit de vie ou de mort sur tout ce qui existe dans leur domaine.

Même l’amour est figé. Car on le devine rapidement, c’est Ambre qu’Eugène aurait aimé épouser. Ambre qu’il retrouve chaque soir à son retour du fleuve avec Jéricho, son cheval de trait. Quelques minutes d’un bonheur silencieux dont il faut se contenter.

Or, un jour apparait une fillette affamée, tout droit sortie des bois. Elle fait partie de ces enfants sauvages qui ont perdu leurs parents, abandonnés ou orphelins, à cause de la faim.

La petite est vite recueillie par Rose qui prend soin d’elle et voit dans ce feu follet une présence étincelante mais qu’elle ne peut garder, à cause de son âge. La fillette va donc trouver une place auprès d’Ambre et Léon.

Ambre l’a appelée Madelaine. Ambre est devenue mère d’un coup – Rose n’a pas cédé à mon chagrin. Elle s’est moquée des regards lorsque la première fois elle a amené la petite au village, et elle a dit voici ma fille. Tout le monde savait qu’Ambre n’avait pas d’enfant, que celle-ci n’était pas la sienne. Juste une étrangère – au Pays Arrière, personne ne manquait et il s’est fait aussitôt mille chuchotements sur l’origine de la petite, mille suppositions sur son visage qui ressemblait pourtant à celui d’Ambre avec sa finesse, cette beauté qui déjà se dessinait. Sûrement on a entendu le mot sorcellerie quelque part et on l’a tu bien vite, ce mot prote malheur, les femmes qui l’avaient prononcé l’ont ravalé et après quelques semaines ou quelques mois on a pris l’habitude de la mouflette sur les talons de sa mère – puisque chacun a admis qu’Ambre était la mère c’était plus facile. En un mot, un jour Madelaine a été là, c’était tout.

Dès lors, aux Montées, la vie va avoir une saveur toute particulière, malgré la rudesse du quotidien, le froid et la faim. Car Madelaine bouscule ces coeurs figés par le froid. Elle a en elle une petite étincelle qui illumine la morosité ambiante et fait vibrer l’espoir d’une vie meilleure ensemble.

Une étincelle dans l’obscurité

Sandrine Collette m’avait percutée avec son roman On était des loups. L’âpreté et la poésie de ses mots, profondément ancrés dans la terre et les corps, m’avait bouleversée. L’amour du père et du fils aussi.

Les émotions à la lecture de Madelaine avant l’aube sont puissantes ici également et l’on retrouve avec bonheur cette écriture du silence qui dit si bien les êtres taiseux. Ceux qui font plutôt que dire.

Nous continuons à errer Madelaine et moi, des fugues lointaines malgré nos corps maigres. Nous avons ce feu en nous. Nous voulons être forts. C’est Madelaine qui le dit : nous n’avons peur de rien. Quand nous entendons les Ambroisie qui chassent, nous nous cachons mais ce n’est pas de la peur. L’odeur du danger nous excite. Nous nous roulons dans l’humus pour nous masquer à la truffe des chiens, nous descendons notre respiration dans la terre. Nous devenons des feuilles, de la boue, du terreau. Nous avons des parfums de champignons et de fumier.

L’autrice a donné corps à des personnages avec lesquels on court, travaille, vibre, pleure et rit. Son écriture en arrive même à nous faire ressentir les douleurs de la faim et les brûlures du froid.

Mais sa narration n’oublie pas de nous dessiner un chemin : celui de la résilience et de la révolte. Car Madelaine avant l’aube est aussi le récit des violences qui sont faites aux êtres soumis. Aux femmes en particulier, qui subissent les violences conjugales ou celles d’un maître qui prend et ravage ces proies féminines comme si elles lui appartenaient.

Cependant, comme elle le précisait dans son entretien pour le podcast « L’intention« , les ténèbres et la noirceur mettent d’autant plus en valeur la lueur et l’étincelle de l’espoir et de la résilience. Madelaine est un personnage dont la sauvagerie ne sera jamais éteinte. Elle n’est pas soumise à l’ordre des choses. Quand elle ne comprend pas un geste ou une violence, elle les rejette et les affronte même avec conviction. Parce que cela n’est pas acceptable.

Elle est une héroïne dont la révolte peut prendre feu à tout moment, et en cela elle est éminemment romanesque et imprévisible. Sa présence va illuminer les vies de ceux qui vont devenir sa famille. Et elle va faire naître l’espoir d’une vie qui pourrait être plus belle et plus juste pour chacun. Au risque de bouleverser l’ordre établi.

Il faudra faire corps pour tenir. Envers et contre tout.

Pourquoi lire Madelaine avant l’aube ?

Sandrine Collette peint avec justesse la vie rude, le malheur et la résignation de personnages liés à la terre et soumis à l'ordre des choses. Mais surtout, elle éclaire ce tableau sombre d'une lueur vive et pleine d'espoir: celle d'une fillette puis d'une jeune femme qui refuse d'accepter de se soumettre et qui ose dire non. Madelaine avant l'aube est le roman d'une colère indomptable et d'une tendresse qui fait tenir debout malgré les blessures. Un récit où la résilience luit comme une flamme dans la nuit.

Pour lire nos chroniques de Les coeurs de ferraille et Mamie Luger

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