Petit pays (Sylvain Savoia / Marzena Sowa / Gaël Faye)

Tout juste âgé de 10 ans, Gaby habite à Bujumbura, capitale du Burundi, avec ses parents et sa soeur Ana.
Alors qu’au sein de la cellule familiale les incompréhensions entre son père français et sa mère rwandaise amènent à une rupture inévitable, à l’extérieur, les tensions entre les ethnies Tutsi et Utu sont de plus en plus violentes.

Cette haine raciale frappe de plein fouet le foyer du jeune Gaby.

L’enfance face à la haine

L’insouciance comme bouclier

Les derniers moments de joie

Petit Pays du duo Sylvain Savoia et Marzena Sowa est l’adaptation du roman autobiographique de Gaël Faye.
Lauréat du Goncourt des lycéens en 2016, le récit raconte la jeunesse de l’artiste au Burundi, à la veille du génocide Tutsi par les Utus.
Contrairement au film d’Eric Barbier avec, entre autre, Jean-Michel Roove dans le rôle de Michel Chappaz, le père de Gaël Faye, la bande dessinée retrouve, d’une certaine façon, la prose originale de l’auteur.

Petit Pays raconte le choc entre le monde de l’enfance et la brutalité du monde réel.
Gaby, accompagné de ses amis Gino et Armand, voit son monde percuter celui des adultes.
Jusque là, les jeunes garçons vivaient dans leur bulle décrite par Gaël Faye comme « un univers confiné où vivaient quelques familles mixtes et des expatriés ».
Ils se retrouvent près d’une carcasse de voiture et volent les fruits de voisins en se moquant des répercussions.
Ils sont insouciants et vivent la vie avec une certaine naïveté.
D’ailleurs, la scène de la piscine sonne comme une cassure.
Un dernier moment de plaisir simple avant que le monde implose.

Malgré tout, Gaby et ses amis ne sont pas aveugles.
Le jeune garçon perçoit toute l’inquiétude de sa mère et les tragédies à venir vont forger son regard.
La vie de famille reste agréable mais les tensions (internes ou externes) se font de plus en plus pesantes.
Les enfants s’amusent pendant que les adultes s’inquiètent.

Si l’adaptation de Savoia et Sowa est poignante, elle ne cède jamais à l’émotion gratuite.
La réalité décrite est brute, sans exagération, ni débordement.
On voit la vague monter de plus en plus en haut. On s’y prépare mais la chute est dévastatrice.

Le monde de Gaby s’en retrouve chamboulé.
Amis et famille deviennent les dommages collatéraux d’une haine injustifiable.

L’histoire d’un génocide

Un massacre impensable

Petit Pays évoque le génocide Tutsi par les Utus au Rwanda et ses répercussions au Burundi.
Par de brèves explications, les auteurs nous apportent les éléments nécessaires pour appréhender cette haine installée entre les deux ethnies au fil du temps.
Si les racines sont profondes, les raisons n’en sont pas moins floues.
Ils ne se battent pas pour un territoire, ni pour une langue, ni pour une religion.
Alors pourquoi ?
Michel Chappaz apporte une réponse ironique : « Parce qu’ils n’ont pas le même nez », comme pour exprimer la stupidité de ces préjugés.

Reste que la peur est bien présente, notamment chez Yvonne, la mère de Gaby.
Cette crainte vire à l’incompréhension, amenant une profonde rupture entre le père et la mère de Gaby.
Yvonne, rwandaise d’ethnie Tutsi, saisit l’imminence du drame à venir et supplie son mari de fuir le territoire.
En vain !
Le père de Gaël Faye est assez fascinant.
Reflet de cette France-Afrique post colonial, il est dépeint comme un véritable amoureux du continent.
Pour l’Afrique, il accepte de perdre sa femme et prend le risque de mettre ses enfants en danger.
La fin symbolise assez bien le personnage, même si, d’un point de vue personnel, je ne peux comprendre ce choix.

Yvonne est tout aussi contrastée.
Si elle nous est dépeinte comme une femme forte, on ressent chez elle de nombreuses failles et un profonde colère.
Une colère qui l’amène, elle aussi, à ne plus être présente pour ses propres enfants.
Le choc des premiers massacres va affecter profondément la jeune femme qui ne peut sortir indemne de cette tragédie.

Car Petit Pays est une véritable tragédie.
Celle des Tutsis bien sûr.
Mais aussi celle de Gaby, d’Ana, de Gino et d’Armand qui ont vu leur enfance brisée par cette haine raciale.

Symbiose entre dessin et texte

Un trait au service de son histoire

L’une des grandes qualités de Petit Pays est la retranscription parfaite de la prose de Gaël Faye.
Paradoxalement, c’est une chose que je n’apprécie pas forcément dans les adaptations mais ici l’écriture fait partie intégrante de l’ambiance.

Graphiquement Sylvain Savoia est un habitué de thématiques profondes, souvent sociales et historiques.
Entre Les esclaves oubliés de Tromelin ou Marzi, première collaboration avec Marzena Sowa, il a su démontrer une véritable expertise, s’éloignant d’un sentimentalisme surfait.

Et Petit Pays ne déroge pas à cette règle.
Le trait est propre, simple mais accentué par un encrage profond et des couleurs limpides.
La narration reste classique dans son ensemble, apportant une véritable fluidité de lecture, mais elle peut aussi se déstructurer lors de scènes impactantes.

Au final, les auteurs ont parfaitement saisi le ton et l’imagerie convenant le mieux à cette adaptation.

En résumé

Petit Pays de Sylvain Savoia et Marzena Sowa est une adaptation grandiose du roman autobiographique de Gaël Faye. 

Tout en respectant la prose de son auteur, Savoia et Sowa ont su mettre en scène le choc frontal entre l'innocence de l'enfance et la brutalité sans nom du monde adulte.
Le récit est saisissant dans sa description d'une haine qui monte, jusqu'à provoquer un massacre n'épargnant personne.

Cette oeuvre nécessaire ne tombe jamais dans une émotion gratuite, tout en nous montrant l'impact profond et tragique qu'ont eu ces évènements sur l'enfance de Gaël Faye.

Pour ceux qui aiment T’zée, une tragédie africaine et La mort du roi Tsongor

Bulles Carrées

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