J’ai découvert l’afro-futurisme lors du festival des Utopiales à Nantes en 2019 grâce à une conférence de Michael Bloch, écrivain de SF caribéen et chroniqueur. Ce genre littéraire, « qui mêle culture africaine et projections futuristes » (définition proposée par France Culture pour l’émission L’art et la manière), est très répandu au Etats Unis. Nnedi Okorafor est une autrice américaine afro-féministe d’origine nigériane plusieurs fois primée pour ses romans adultes et jeunesse, mais aussi pour ses scénarios de comics tels que Black Panther ou Wakanda forever. Il ne fallait pas plus que la magnifique couverture réalisée par Greg Ruth pour me lancer dans la lecture de Sankofa, la fille adoptive de la Mort (intitulé « Remote control » dans son titre originel).
Une longue errance
Sankofa a 14 ans et elle erre seule sur les chemins du Ghana depuis 7 ans. Uniquement accompagnée d’un étrange renard.
Quand elle arrive dans un village, tout le monde s’écarte. Les portes se ferment. Les gens s’enfuient.
Elle avait la peau foncée, des trait doux, la mâchoire contractée, et pour seul bagage un sac à amulettes qu’un sorcier lui avait donné cinq ans plus tôt, peu après qu’elle avait quitté sa maison.
Elle est crainte et respectée. On chuchote même qu’elle est la fille de la Mort.
Sa réputation est fondée sur des récits plus ou moins déformés mais qui tirent leur source d’une tragédie de son enfance, lorsque sa famille entière a été décimée. Qu’elle a décimée.
En effet, avant de s’appeler Sankofa (symbolisé au Ghana par un oiseau qui mange ses propres oeufs), elle était tout simplement Fatima. Une petite fille perchée sur les hautes branches d’un grand karité, dans le jardin de la demeure familiale.
Jusqu’au jour où une graine mystérieuse est apparue aux racines de cet arbre. Une graine que l’on devine d’origine extra-terrestre, issue d’une pluie de météorites, et qui va lui conférer de grands pouvoirs.
Elle brillait d’un vert intense, comme une étoile. Fatima attendit quelques instants, s’interrogeant sur ses mots des cieux avant de rire et de se précipiter pour l’attraper. Ce n’était pas chaud au toucher, mais en l’approchant de ses yeux, Fatima put voir que de la lumière en ruisselait, comme de l’huile. Elle plaça la graine au creux de ses mains, et la lueur forma une petite flaque dans ses paumes avant d’être absorbée par sa peau.
Cette mystérieuse graine, précieusement enfermée dans un coffre, va ensuite disparaitre, vendue puis perdue. Mais le pouvoir de Sankofa va jaillir, tel un volcan, de sa peau irradiée de vert, suite à une piqure de guêpe. Après s’être évanouie, elle découvira tous ses proches et tous les habitants alentours morts autour d’elle.
Sa métamorphose est en marche.
Apporter la mort et chercher des réponses à sa vie
La lecture de Sankofa, la fille adoptive de la Mort, est particulièrement originale.
Tout d’abord, par ce mélange de culture africaine traditionnelle et rurale associée à des éléments futuristes tels que des intelligences artificielles et des « télécontrôleurs ». L’on découvre à travers les yeux de Sankofa cette Afrique du futur, mêlant traditions et modernité.
Ensuite, par le traitement moderne de la thématique du voyage initiatique. Alors qu’elle a tout perdu et qu’elle évolue seule, Sankofa va chercher des réponses à ce qui lui est arrivé en tentant de retrouver la graine. Les humains qu’elle rencontre sont souvent apeurés et vont même parfois tenter de la tuer. Ou de l’utiliser, pour ses pouvoirs destructeurs.
Finalement, c’est de sa propre identité qu’elle part en quête. D’une certaine rédemption aussi. Car elle est à la fois Fatima, la petite fille solitaire, et Sankofa, la puissante. Une enfant qui devient une femme aussi. Une jeune fille proche de la nature dans un univers où la technologie gère le quotidien, même des villages les plus éloignés.
On les appelait des « robocops », des robots policiers prétendument dotés d’une intelligence artificielle. Sankofa était pour sa part convaincue qu’ils étaient au moins connectés à internet et capables de passer au crible toute personne autour d’eux pour glaner des informations.
Il faut se laisser porter par le souffle du conte et des mystères africains pour apprécier ce roman. Les éléments futuristes pourront surprendre les novices et ils semblent poser des questions dans cette Afrique soumise aux forces technologiques, notamment à RoboTown. Questions auxquelles le roman ne répondra pas forcément.
Mais ce qui rend le récit touchant et efficace est ailleurs. C’est le personnage elle-même. Sa quête d’humanité et de maîtrise de son pouvoir. Le symbole de l’oiseau Sankofa, symbole de sagesse, de connaissance et de mémoire des peuples, semble ici particulièrement bien choisi.
Pourquoi lire Sankofa, la fille adoptive de la Mort ?
Sankofa, la fille adoptive de la Mort, est un roman afro-féministe puissant. En suivant les pas de cette jeune fille dont le quotidien est bouleversé par un pouvoir qu'elle n'a pas désiré, on ressent sa détresse, sa peur et sa colère. Sa quête de réponses et d'apaisement est bouleversante. Les interrogations sur la mort et sur notre rapport aux nouvelles technologies ne le sont pas moins.
"Il faut cueillir les ‘trésors’, les ‘perles’ du passé, pour qu’ils nourrissent le futur", selon les Akans. Même si celles-ci sont parfois lourdes à porter.
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