Marie Pavlenko sait raconter les destins de femmes et de filles. Depuis Un si petit oiseau, en passant par Et le désert disparaitra ou Rita, l’autrice arpente les chemins de la solidarité avec ses personnages résilients. Nous la retrouvons dans Traverser les montagnes, et venir naitre ici au coeur du Mercantour, lieu de deuil pour Astrid qui est venue s’y retirer du monde et d’espoir pour Soraya qui rêve d’y trouver refuge après avoir fui son pays.
Se rencontrer, s’apprivoiser
Astrid arrive sur un coup de tête dans une maison perchée en montagne qu’elle a achetée sans même la visiter. Elle vient de perdre Kamal, son mari, et leurs deux enfants Tom et Jibril.
L’escalier a une voix grave. Il tourne et aboutit à un palier obscur. L’interrupteur bourdonne, une ampoule nue ouvre son oeil anémique. La salle de bains est antique, les toilettes infestées de tartre. Deux chambres avec cheminées. Le papier peint se décolle. Tant mieux, il est hideux.
Qu’est-ce qu’elle va faire d’une deuxième chambre ?
Reprendre son souffle. Manger, dormir, marcher. Avancer pour ne pas tomber. Pas de programme, pas de projet.
Sauf que la vie va se charger de chambouler cette solitude montagneuse.
Elle va y rencontrer Soraya, une jeune réfugiée syrienne qui a elle aussi tout perdu sur la route de l’exil : ses parents, sa petite soeur Cherine, sa tante Ibtissam. La seule vie qui l’accompagne, elle n’en veut pas. C’est un bébé sur le point de naitre, enfant non désiré d’un viol commis par un passeur.
Ces deux vies fracassées, celles d’Astrid et de Soraya, chacune enfermée dans la tristesse et le deuil, vont se croiser et voir naître cet enfant non voulu, « cette chose » qui est à la fois la preuve de la violence des hommes envers les femmes et un écho qui ravive des souvenirs douloureux pour une mère orpheline.
Un espoir aussi peut être. Celui d’une résilience commune.
« Mais la vie souffle » (Andrée Chedid)
Qui a déjà lu Marie Pavlenko sait la simplicité et la poésie de ses mots, la force de ses personnages malgré leurs blessures et l’humanité des chemins qu’elle leur fait emprunter.
On retrouve tout cela dans Traverser les montagnes, et venir naître ici.
La souffrance, la tristesse et le deuil sont dits avec sobriété. La puissance de la nature aussi qui porte et illumine parfois.
La neige crisse sous ses pas maladroits. Astrid est d’abord empotée, une cane à qui on aurait lié les pattes, mais très vite, elle prend de l’assurance. Le paysage transfiguré la transporte, raboté, alangui par le voile blanc, la Terre a revêtu sa robe de communiante et des festons de glace ornent le coin des gouttières. Astrid se retourne pour contempler sa maison aux murs centenaires, ses volets trapus sur lesquels la neige se dépose sans bruit. Le toit se tapit sous une couverture moelleuse.
Et il y a ce bébé. Cette petite vie qui n’a rien demandé et qui va faire retrouver à Astrid les gestes qu’elle avait eux pour ses fils, dans cette vie d’avant.
Ce bébé qui porte en lui toutes les souffrances de Soraya mais aussi les dernières traces de sa famille.
Marie Pavlenko raconte les démarches pour permettre à Soraya d’obtenir des papiers français, la peur qui tenaille celle qui a traversé les royaumes des morts pour arriver jusqu’ici. L’amitié et la solidarité aussi, celles d’Ida, la voisine potière, ou encore celle de Max, un jeune homme d’ici qui va permettre à la jeune syrienne de retrouver quelques instants des préoccupations d’adolescente.
La puissance de ce récit doit beaucoup à cette humanité qui tisse des liens entre des êtres qui auraient pu ne pas se rencontrer. Les silences de Soraya sont respectés, la douleur d’Astrid aussi, et chacune va reconnaitre en l’autre à la fois ses blessures et sa lumière.
Un roman sur l’indicible, qui réchauffe sans masquer les souffrances ni la peine.
Pourquoi lire Traverser les montagnes, et venir naître ici ?
Traverser les montagnes, et venir naître ici est un roman dans lequel souffle l'espoir, celui de la résilience et de la vie. Au coeur des montagnes, deux femmes fracassées vont apprendre à se connaitre et tisser ces liens qui sauvent. Marie Pavlenko, une nouvelle fois, nous émeut par la sincérité de son récit et par ses personnages si profondément humains. Une lecture bouleversante et puissante, tragique et poétique. Lumineuse.
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