Le deviant (James Tynion IV / Joshua Hixson)

Après avoir été scénariste de comics mainstream, Michael souhaite s’affranchir en se lançant dans un projet personnel.
Ainsi, il s’intéresse au Déviant, un tueur en série déguisé en Père Noël et interviewe celui qui a été emprisonné pour ses crimes : Randall Olsen.
Mais ce projet symbolise bien plus pour le scénariste qui cherche ses propres réponses à travers l’histoire de Randall.

Au même moment, un tueur reprend le costume et commet des crimes atroces en pleine période de festivités.

Joyeux noël !

Le père noël est une ordure !

Le déviant de James Tynion IV et Joshua Hixon est un thriller psychologique âpre, à la résonance personnelle, autant pour le personnage principal que pour son scénariste.

Cependant, si ce comics retient notre attention, ce n’est pas forcément pour son aspect thriller.
Il faut dire que le point de départ reste assez commun pour le genre.
Un premier tueur sévit dans les années 70. Mais, alors que le coupable purge sa peine, un copycat reprend la tuerie dans les années 2023.
Et rien de mieux que l’imagerie de noël pour servir de carcan aux crimes de ce tueur sanguinaire.

L’enquête se fait en deux temps (voire deux temporalités).
La première revient sur les crimes du tueur original, Randall Olsen. La seconde virevolte entre les suspects potentiels, en pointant le doigt, dès la fin du premier volume, sur un coupable potentiel.
Cependant, tout semble un peu trop évident. James Tynion IV n’arrive pas à s’échapper du carcan classique du thriller horrifique et les connaisseurs ne seront que très rarement surpris.

Sur le second volume, il reprend un peu la main grâce à une maitrise saisissante de la tension. Mais, plus on tourne les pages, plus il est évident que cette histoire de tueur en série n’est en réalité qu’un simple enrobage pour évoquer une thématique plus personnelle.
L’idée n’est pas de découvrir qui se cache derrière le masque du tueur. D’ailleurs, la révélation qui use d’un artifice plutôt convenu, va dans ce sens.

Personnellement, si je comprends l’approche de James Tynion IV, on peut regretter qu’il n’est pas pris plus au sérieux la partie thriller.
Certes, l’ambiance est prenante et on se laisse prendre au jeu. Mais la conclusion risque de décevoir tant ce cluedo semble légèrement tronqué.

Préjugés systémiques

Face à face

Cependant, Le déviant a un tout autre objectif.
James Tynion IV a pris l’habitude de se mettre en scène ou, du moins, écrire des personnages qui lui ressemblent.
Homosexuel, attaché aux valeurs LGBTQIA+, il accorde une importance à la variété de genre dans ses récits, sans que cela soit un véritable sujet. Jusque là, il n’y avait pas de débat.
C’est le cas dans The nice house on the lake, Worldtr33 mais aussi dans L’étrange histoire de Christopher Chaos.

Avec Le déviant, jamais un personnage n’aura autant reflété sa pensée.
Michael est un scénariste qui sort d’une belle carrière dans le mainstream et tente, enfin, la voie de l’indépendant. Il se choisit un sujet de choix : l’histoire d’une tueur en série qui a sévi dans les années 70.
Par le biais de sa vie professionnelle ou personnelle, Michael est un écho flagrant de James Tynion IV.
Et donc forcément, la lecture de ce récit doit se faire par ce prisme.
C’est ici qu’on y trouve tout son intérêt et pas ailleurs.

Le déviant, plus qu’un thriller psychotique, est une réflexion sur la place des homosexuels dans la société et les préjugés qui en découlent.
En effet, on en arrive à se demander si Randall Olsen est réellement le coupable où s’il paie seulement un comportement peu acceptable pour l’époque.
À travers ce personnage, James Tynion IV explore la solitude d’un homme, en manque cruel d’affection. Au point de prendre de mauvaises décisions.

Certes, les preuves paraissent accablantes mais la figure même du policier qui l’a interpelé pose problème.
Paul ressort de cette confrontation avec de nombreuses séquelles mais ses préjugés semblent prendre le dessus. S’il reste dans son « bon droit » lors de l’enquête, sa discussion avec Michaël, des années plus tard, est la preuve de ressentiments bien ancrés.
Tellement ancrés qu’ils explosent sous une forme violente qui confine à un exutoire à sa propre haine.
Une haine encore présente en 2023.

En effet, jusque là, James Tynion IV mettait en scène la variété des genres avec une vision d’acceptation globale mais depuis, les temps ont changé.
Le déviant se fait le miroir d’une époque en perte de repères.

Lugubre et sombre

Un graphisme tranché et efficace

J’ai découvert le travail de Joshua Hixson sur un comics, malheureusement passé inaperçu, Shangaï Red.
Son dessin, extrêmement sombre et torturé, y faisait déjà des étincelles malgré quelques errements anatomiques.

Depuis, on a pu le voir sur The Plot, avec un trait toujours aussi puissant mais moins sauvage, laissant plus de place à la lumière.
D’une certaine façon, on y retrouve la patte d’un Paul Azaceta à ses débuts.
Avec Le déviant, il signe des planches de grande qualité, jouant habilement entre des scènes de simples discussions et celles où ses encrages et sa colorisation tortueuses sont habilement utilisés pour nous plonger dans l’ambiance du moment.
On sent qu’il sait y faire et qu’il aime cela. C’est certes violent mais jamais gore. Au contraire, c’est avant tout la froideur des actes qui saute aux yeux.

D’ailleurs, on appréciera le design du Deviant. Si ce n’est pas le premier tueur en série à s’emparer de cette imagerie, l’utilisation de ce masque inexpressif allié à cette immense barbe marque immédiatement les esprits.

En résumé

Le déviant de James Tynion IV et Joshua Hixson est un thriller horrifique qui marque plus les esprits pour son propos que par son enquête. 

En effet, si cette histoire de tueur en série déguisé en Père Noël, n'a rien d'original, on comprend assez vite que l'objectif du scénariste se trouve ailleurs.

À travers une histoire en résonance avec sa pensée, James Tynion IV explore la situation des homosexuels, dans les années 70 puis en 2023, et les préjugés qui en découlent.

La vision artistique de Joshua Hixson s'accorde parfaitement avec l'ambiance, particulièrement sombre et torturée, du récit.
Il marque les esprits avec ce look de tueur, immédiatement identifiable.

Néanmoins, James Tynion IV a peut être trop délaissé son enquête, se contentant du service minimum et si cette lecture reste interessante, il lui manque ce petit quelque chose pour devenir remarquable !
Bulles carrées

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