Alors que Tasuku s’apprête à commettre l’irréparable, il remarque la silhouette d’une jeune femme se jetant dans le vide.
Accourant à son secours, il arrive devant une demeure et se rend compte que la « suicidée » se porte comme un charme.
L’individu.e a en sa possession les locaux d’une association qui sert de point de rencontre et d’échange pour les personnes LGBT.
L’hôte, tel qu’on l’appelle, reste mystérieux aux yeux de Tasuku qui décide d’en savoir plus sur elle.
Il ne s’imagine pas que son ton direct et nonchalant l’amèneront à se poser des questions sur sa propre identité.
Un récit puissant aux thématiques actuelles
Vivre dans une communauté LGBT
Eclat(s) d’âme fait partie de ces récits qui résonnent profondément, une fois la lecture terminée.
Tendre, puissant, humaniste mais aussi sans concession, le manga de Yuhki Kamatani étonne par les réflexions qu’il engendre.
Et cela, qu’on soit ou non concerné par le sujet de la communauté LGBT.
Si, en premier lieu, nous suivons le parcours de Tasuku, c’est à travers les profils des membres du salon de discussion que le manga trouve toute sa richesse mais aussi sa complexité.
Le lieu appartient à un personnage énigmatique et sert de point de ralliement pour les personnes LGBT.
Mais attention, il n’y a pas d’entre soi. Ils se réunissent, discutent ensemble, partagent des anecdotes mais vivent, avant tout, la vie telle qu’iels l’entendent.
Ensemble, iels élaborent de nombreux projets de reconstruction sous la houlette d’Haruko Daichi et Natsuyoshi Utsumi.
Tasuku en aura un à sa charge, sorte de point culminant de sa réflexion mais aussi de celle du manga.
Cette galerie de personnages, hauts en couleur, permet au mangaka d’aborder, au fil des tomes et suivant les personnages concernés, les nombreux questionnements de genre ou de sexualité.
Des situations souvent complexes mais racontées avec simplicité et sans moralisation.
Le but de Yuhki Kamatani est, avant tout, de décrire leurs vies dans leurs bons et leurs mauvais moments, tout en évitant les caricatures et autres exagérations.
Homosexuel.le, transgenre, non sexué.e ou simplement transformisme, chacun a droit de vivre en toute liberté sans être jugé.e pour des choix assumés ou non.
Derrière ce discours, c’est avant tout l’écoute et la tolérance qui sont prônées.
Le langage est d’ailleurs assez brut, pour ne pas dire brutal.
L’impact des mots est, comme souvent, plus douloureux que les attaques physiques.
Si Yuhki Kamatani montre le rejet et l’agressivité de certains japonais, elle explique que la « bonté » de certains peut être tout aussi néfaste.
Accepter sa différence
Car au fond, Eclat(s) d’âme ne parle que d’une chose : l’acceptation de soi-même.
Tasuku, au début de la série, ressent des choses qu’il ne veut pas éprouver.
Pris sur le fait, il préfère rejeter ce qu’il est, quitte à devenir ignoble puis à penser à mettre fin à ses jours.
C’est un peu la situation dans laquelle on le découvre au début du tome 1.
Mais si le jeune lycéen est un personnage assez sensible, Yuhki Kamatani le fait assez vite évoluer lui permettant de vivre ses sentiments de façon plus explicite.
A noter, que tout n’est pas simple.
L’acceptation peut être un chemin tortueux.
La relation, mise en scène entre Tasuku et Tsubaki, en est le meilleur exemple.
Si Tsubaki ne promet jamais rien à son ami, il a lui même changé d’avis :
Avant, je pensais que ceux qui font ce genre de trucs, c’étaient juste des gens qui ne supportent pas les gays et qui pètent un câble.
Mais maintenant, je me dis que ce n’est pas forcement le cas.
C’est peut-être un gay qui a fait ça parce qu’il ne supporte pas que les gens comme lui s’amusent comme tout le monde et attirent l’attention.
D’un autre côté, certains, pour des raisons plus ou moins nobles, à l’image de l’ami d’enfance d’Utsumi, cherche à imposer une direction à suivre.
Tu es transgenre, tu dois en parler aux autres pour faire comprendre ton point de vue.
Mais si tu n’en as pas envie ? Peut-on en vouloir à quelqu’un de vivre ce qu’il vit pour lui-même et non pour les autres ?
Si on prend l’exemple de Shuji Misora, jeune garçon qui aime s’habiller en fille, l’insistance de Tasuku à vouloir qu’il s’assume, va lui devenir insoutenable au point de provoquer un rejet total.
C’est d’ailleurs tout le symbolisme de l’hôte.
Tu peux tout me dire mais je ne t’écouterai pas
Derrière la rudesse de ses propos se cache une tout autre signification.
« Parle, discute mais si tu dois prendre une décision, elle doit venir de toi. »
On ne peut pas imposer aux autres ce qu’on ne peut pas s’imposer à soi-même.
Ce qui en rend l’acceptation encore plus difficile, surtout si l’intolérance s’en mêle .
Un.e mangaka, reflet de la communauté LGBT ?
Eclat(s) d’âme est une oeuvre très personnelle pour Yuhki Kamatani ce qui explique, en partie, sa puissance émotionnelle.
Après le succès de Nabari et Nos c(h)oeurs évanescents, le.a mangaka se déclare, en 2012, non binaire.
Ayant mal vécu cette période, Yuhki Kamatani se sert d’ Eclat(s) d’âmes pour décrire les difficultés rencontrées par la communauté LGBT dans la société japonaise (mais cela pourrait s’appliquer à la nôtre)
Une nouvelle fois, bien loin d’être moralisatrice, l’oeuvre se veut avant tout tolérante.
Elle démontre qu’une vie commune est possible du moment qu’on s’accepte les uns et les autres.
Pour cela l’écoute est primordiale.
La série qui se termine par un décès mais aussi un mariage, reste, pour autant, lumineuse et, d’une certaine façon, assez optimiste.
Pour certains, rien ne pourra changer leurs opinions mais l’essentiel, au fond, est de se sentir bien comme on est.
Nous avons déjà beaucoup parlé du graphisme de Yuhki Kamatani sur le site, que ce soit pour Nos c(h)oeurs evanescents ou Hiraeth, la fin du voyage.
Nous retrouvons une grande partie de ses qualités graphiques dans Eclat(s) d’âme.
Cependant, alors que sur Nos c(h)oeurs evanescents, son trait restait arrondi, on sent qu’iel a voulu quelque chose de plus acéré sur les personnages, même si sa stylisation n’atteint pas encore l’excellence d’Hiraeth.
Reste que ces 4 tomes sont d’excellente facture et que la mise en scène est une nouvelle fois, bourrée de symbolisme.
De quoi faire vibrer le lectorat de la plus belle des façons.
En résumé
Eclats d'âmes est une oeuvre rare et importante. Humaniste et émouvante, elle offre une véritable réflexion sur les questions de genre et de sexualité tout en prônant un message de tolérance. Yuhki Kamatani nous explique, avec rudesse par moment, que l'acceptation ne peut venir que de soi-même et qu'elle ne peut être en aucun cas être imposée que ce soit pour de "bonnes" ou de mauvaises raisons. Le chemin est long mais il ne peut venir que de soi-même.
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