Pour fuir les Atriens, race robotique impériale, Kaya et son demi-frère Jin quittent un domaine familial dévasté.
Or, Jin n’est pas n’importe qui.
Jeune prince du peuple de Kahaka, il doit achever la prophétie et mettre fin au règne des machines.
Ainsi, l’objectif de Kaya est clair : accompagner et protéger son demi-frère jusqu’à l’île aux moines pour accomplir sa destinée.
Mais le périple est semé d’embûches …
Quête initiatique familiale
Pour les amateurs de comics, Wes Craig n’est guère un inconnu.
Si le dessinateur est actif depuis les années 2010, c’est avec Les Gardiens de la Galaxie de Dan Abnett et Andy Lanning que l’on découvre son trait atypique.
À l’époque, son style se différenciait déjà des codes mainstream et fascinait par son originalité.
Mais c’est avec Deadly Class, co-créé avec Rick Remender, qu’il marque de façon indélébile le paysage du comics indépendant.
Il en assurera l’entièreté de la partie graphique jusqu’à une conclusion qui reste encore encrée dans ma mémoire.
Kaya est un tout autre défi.
Sur cette nouvelle série, Wes Craig devient un auteur complet, se lançant sans l’appui de scénariste.
Un pari risqué qui a vu de nombreux dessinateurs talentueux se casser les dents.
De la science-fiction aux aires de fantaisie
Pour un premier essai, Wes Craig n’a pas à rougir.
Si on peut lui reprocher quelques lourdeurs narratives, surtout sue le premier tome, on sent que ses années aux côtés de Rick Remender lui ont été profitables.
Il a d’ailleurs compris qu’un bon comics est un comics rythmé, développant des personnages et des enjeux clairs et définis.
Certes, cette quête initiatique et prophétique n’est pas des plus originales mais l’univers est assez intriguant pour qu’on y plonge avec un certain plaisir.
On explore un territoire encore inconnu, peuplé de diverses peuplades, de créatures terrifiantes et d’un empire autoritaire en toile de fond.
En introduisant les lézardiers, Wes Craig développe une culture, une histoire, des traditions bien différentes de celle de nos deux protagonistes.
Le monde de Kaya garde malgré tout de nombreuses zones de flou.
Si certains aspects sont empruntés à la fantaisie, d’autres tendent vers la science fiction.
Wes Craig s’amuse à brouiller les pistes en intégrant des espèces aussi communes qu’une vache ou un sanglier, tout en les faisant côtoyer un monstre aussi légendaire que le Magron.
Pour le moment, et malgré quelques interprétations évidentes, le mystère reste entier.
Cependant, il n’est pas sûr qu’il faille en dévoiler plus.
Ce sont justement ces mélanges incongrus qui font toute l’originalité de cette nouvelle création.
Quant aux Atriens, absents sur le premier volume, il font une entrée fracassante à partir du second.
Wes Craig, intelligemment, s’attarde sur leur cité, dans le dernier chapitre du second volume, tout en nous complexifiant, celui qui risque de devenir le némésis de notre duo : Lord Vox.
Et on comprend bien sa motivation !
De multiples interactions
À l’image de son collègue Rick Remender, Wes Craig a compris que la caractérisation des personnages est essentielle.
Nous devons nous sentir concernés par cette quête. Il faut vibrer avec eux, ressentir leurs instants de doute comme de joie.
À l’instar de Jonna, le récit tourne autour des relations contrariées entre Kaya et Jin.
Ils ont beau être (demi) frère et soeur, ils n’ont pas grand chose en commun.
Leur père, leur éducation, leur âge et même leur sexe, tout les sépare.
Ils ne se connaissent pas et c’est la fatalité qui les oblige à entamer ce voyage ensemble.
Alors que Kaya est une guerrière, Jin est un enfant gâté, imbu de sa personne.
Mais en tant que prince, seule la succession compte et rien d’autre.
Or, ce changement de statut l’oblige à revoir tout ce qu’on lui a inculqué.
Au final, Jin est celui qui a le plus à apprendre de cette expédition.
Il n’est sans doute pas anodin qu’il en soit le narrateur et le principal acteur.
À l’image de Saga, il apporte le recul et une auto-critique nécessaire face à ses attitudes passées, ce qui le rend assez touchant.
Mais Wes Craig ne se contente pas seulement de cette relation filiale.
Le voyage amène à des rencontres amicales ou non, offrant un large éventail de possibilités.
Les traitements adoptés par l’auteur sont pertinents et, qu’ils soient le fait d’un amour ou d’une rivalité, ils apportent de la complexité à certains personnages.
Muska en est le meilleur exemple.
Aussi détestable et pathétique soit-il, il réagit pour répondre aux attentes liées à sa position.
Malgré tout, l’auteur doit garder en tête cette caractérisation.
En effet, le second volume se concentre beaucoup sur l’action et délaisse quelques peu ses personnages, pris par l’avalanche des évènements.
S’il est plaisant de se laisser porter par le rythme effréné de son écriture, l’auteur doit apprendre à laisser quelques moments de répits à son duo.
Un style graphique atypique
Seul Wes Craig dessine comme Wes Craig.
Bien sûr, on trouve dans son dessin de multiples influences, allant de Mike Mignola mixé au style cartoonesque de Bruce Timm saupoudré d’une pointe de manga.
Un cocktail détonant, épicé mais terriblement novateur et excitant.
Son trait est d’abord caractérisé par une simplification des formes graphiques et narratives, sans pour autant renoncer à un dynamisme profond dans certains enchainements de mise en scène.
Le but ultime de Wes Craig est l’efficacité et la fluidité de sa narration.
Certains lui reprocheront de n’accorder que peu d’importance à ses arrière-plans.
Or, il applique à la lettre une des règles de l’art narratif qui estime qu’une fois le décor posé, l’oeil du lecteur l’a assimilé et le dessinateur n’a plus besoin de le mettre sur toutes les cases.
L’objectif est d’alléger au maximum la narration pour permettre une meilleure fluidité de lecture.
Rares sont les dessinateurs pouvant se permettre de ne pas tomber dans le « détail à tout prix ».
J’ai cité Mike Mignola, Wes Craig en fait partie, même si la couleur de Jason Wordie lui offre un grand soutien.
À l’opposé de la sobriété de Lee Loughbridge sur Deadly Class, Jason Wordie opte pour des tonalités pastel éclatantes, amenant de la matière sur les corps et de la profondeur aux arrière-plans.
Un véritable travail d’équipe !
En résumé
Kaya est le premier comics en tant qu'auteur (quasi) complet de Wes Craig.
Et pour ce premier essai, il nous propose une quête initiatique familiale à l'intersection de la fantaisie et de la science fiction.
Sans être parfaite, la série se montre convaincante, autant dans ses scènes d'action ultra rythmées que dans la psychologie de ses personnages.
L'auteur a su leur insuffler l'humanité nécessaire à son duo, malgré des failles évidentes.
Si Kaya est une guerrière badass, elle reste néanmoins une enfant qui n'a pas eu la chance de grandir et se retrouve à protéger un frère qu'elle connaît à peine.
Quant à Jin , il est un gamin en dehors des réalités qui fait de son mieux pour soutenir les efforts de sa demi-sœur, tout en cherchant à survivre à sa destinée.
Ce voyage est illustré par le trait tout aussi hors norme de son auteur, soutenu par la belle palette de couleurs de Jason Wordie.
Un style unique pour une quête familiale détonante.
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