L’inspecteur Hippolythe Cisiphe enquête sur le meurtre d’une femme dont l’identité reste encore méconnue.
Les indices laissés sur la scène de crime sont maigres et il n’a pour témoin qu’un journaliste un peu trop insistant.
Si cette affaire ressemble à un autre cas traité par l’inspecteur, il n’imagine pas s’enfoncer dans une terrible machination.
En parallèle, l’inspecteur Philippe se retrouve sur une autre affaire dont la source provient de l’enquête de son coéquipier.
Enquête à rebours
L’orfèvre d’Aurélien Lozes est un projet, comme l’essentiel des ouvrages de Komics Initiative, qui a vu le jour grâce au crowdfunding.
Si j’essaie de me tenir au courant de cette production parallèle, je dois bien avouer être complètement passé à côté de cette proposition.
Heureusement, j’ai la chance d’avoir une libraire, avec un certain bon goût, qui a mis cet ouvrage entre mes petites mains .
Son argument était simple : « Je suis certaine que ça va te plaire ! »
C’est d’ailleurs amusant d’entendre cela d’une personne qui ne cesse de dire que nos goûts sont opposés.
En réalité, pas tant que cela !
Et effectivement, L’orfèvre mérite une attention toute particulière, autant pour la teneur de son intrigue que pour son ambition formelle.
Double dose de thriller
L’orfèvre d’Aurélien Lozes est un thriller sombre et âpre, nous prenant très souvent à la gorge.
Si l’ambiance n’est pas particulièrement violente, le ton cache une profonde rage qui se fait ressentir dès les premières pages.
Malgré tout, si l’intrigue est parfaitement menée, on ne peut pas dire qu’elle brille par son originalité.
Surtout que le choix de l’anthropomorphisme rappelle inévitablement un autre polar animalier culte : Blacksad.
Le point de départ est donc simple.
Le corps d’une femme a été retrouvé dans une ruelle de la ville et l’inspecteur Hippolyte Cisiphe se retrouve en charge de l’affaire.
À ses côtés, on suit une enquête aux multiples pistes qui, au fil des indices et des bagarres, se fraie un chemin dans les affres d’une conspiration plus ample.
Aurélien Lozes nous ballade avec une certaine aisance, nous réservant ainsi de belles surprises, jusqu’à la révélation finale assez inattendue.
L’ambiance « hard boiled » est maitrisée, nous emportant dans une frénésie sous jacente.
À condition de la prendre par le bon bout.
Car le récit est double .
Et sans rien dévoiler, les deux enquêtes se répondent l’une et l’autre.
Hippolythe, le flic loup au passé tragique, et son coéquipier Philippe, homme guépard, se croiseront de rares fois mais les deux histoires sont assez autonomes pour qu’on puisse débuter la lecture d’un bout ou d’un autre sans préférence particulière.
Du moins, c’est la proposition ambitieuse de son auteur, même si, pour ma part, je reste un peu plus sur la réserve.
Surtout si, justement, on veut pas se spoiler l’identité du meurtrier et de la victime.
Pour cela, je vous conseille de commencer par l’enquête d’Hyppolithe qui pose les bases du récit, tout en nous amenant à des révélations finales plus fortes.
De ce point de vue, le contrat est bien rempli. Les pistes sont multiples, les personnages charismatiques et les thématiques puissantes.
En effet, qu’il traite du bien être animal ou humain, Aurélien Lozes a une vision très pragmatique des luttes sociales.
Des luttes que l’on retrouve tout au long de son récit de façon étonnante !
Un projet unique et ambitieux
L’orfèvre est une oeuvre-concept.
L’idée atypique d’Aurélien Lozes se trouve au sein de la structure même de sa bande dessinée, reflétant une boucle sans fin.
Ainsi, les pages de l’album sont divisées en deux parties.
Une première en haut et une seconde inversée en bas, nous menant vers des chemins parallèles mais à une unique destination.
Comme mentionné plus haut, je pense qu’il est préférable de débuter la lecture avec Hippolythe.
Mais, dans les faits, l’auteur ne donne aucune indication et les deux possibilités restent lisibles, apportant cependant une expérience différente.
Si cette idée de boucle est intéressante, elle devient fascinante dans sa mise en scène.
Par exemple, on est rapidement perturbé par les arrière-plans.
En effet, ceux-ci semblent retranscrire une forme de paradoxe temporel inexpliqué, en décalage avec l’intrigue principale.
Si on commence (ou termine) le récit par une manifestation anti-capitaliste, on retrouve plusieurs formes de lutte à travers l’histoire, servant de « décor » à l’enquête principale.
Ainsi, Aurélien Lozes lie son récit par un enchevêtrement d’évènements, pour certains historiques, marqués par une profonde colère, évoluant très souvent en violence de masse.
Le problème se répète et rien ne semble pouvoir y mettre fin.
En réalité, la lutte contre les puissants traverse le temps pour trouver une sorte d’exécutoire dans les enquêtes d’Hippolythe et Phillipe.
Et si c’était le réel sens de cette boucle temporelle.
Pour tout dire, beaucoup d’éléments resteront sans explication, laissant la porte ouverte à de multiples interprétations.
La mienne reste très personnelle mais c’est aussi la force de ce récit : proposer une oeuvre qui vibrera différemment suivant son lectorat.
Une technique impressionnante
Graphiquement, L’orfèvre est le reflet de son ambition.
D’un point de vue stylistique, le dessin noir et blanc d’Aurélien Lozes est magnifique.
Son trait, détaillé et fin, est rehaussé par des tons grisâtres apportant de la profondeur. La richesse des pages est fascinante et les nombreux décors architecturaux démontrent une réelle technicité.
Reste que globalement, son approche réaliste, très axé franco-belge, à un côté old school. Et elle pourrait déplaire aux plus jeunes des lecteur-rices.
Aurélien Lozes dessine sur des moitiés de pages, réussissant à nous offrir de belles mises en page, dynamiques et variées.
Ses scènes d’action sont percutantes, jouant par moment avec un effet miroir bluffant.
On pense notamment à la course poursuite en camion qui mériterait une analyse de page à elle seule.
Certes, on aurait aimé que certains effets soient encore plus poussés.
Au final, les interactions entre les deux récits sont rares mais l’ambition générale et sa générosité rendent l’expérience unique.
Il est intéressant de noter que L’orfèvre est le fruit d’un « petit éditeur » qui a cru en un projet presque « casse-gueule ».
Il n’est pas certain que les éditeurs majeurs se soient lancés dans une telle entreprise.
Ce qui, d’une certaine façon, pose certaines questions…
En résumé
L'orfèvre d'Aurélien Lozes est une oeuvre folle, aussi ambitieuse sur la forme que tortueuse sur le fond.
Derrière ce thriller noir, âpre et cynique, l'auteur développe une réflexion profonde sur l'enchevêtrement des luttes sociales qui ont traversé notre Histoire.
Pour cela, il se sert de la forme de son album, proposant deux récits parallèles se rejoignant au sein d'une boucle sans fin.
Si le procédé n'est pas sans faille, il épate par son ambition et par son exécution graphique.
Le dessin, noir et blanc, d'Aurélien Lozes est minutieux autant dans son trait que dans ses mises en pages inventives et dynamiques.
Une réussite d'autant plus méritante que l'auteur doit dessiner sur "simplement" deux moitiés de pages.
Si L'orfèvre aurait pu n'être qu'une performance, Aurélien Lozes propose deux intrigues policières haletantes teintées d'une réflexion politique et historique, amenant à de multiples interprétations.
Une oeuvre à soutenir !
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