Mots Tordus et Bulles Carrées

Les seigneurs de Bagdad (Brian K. Vaughan / Niko Henrichon)

Alors que les troupes américaines se lancent à l’assaut de Bagdad, une des frappes touche un zoo de la ville, libérant les animaux.
Parmi eux, quatre lions découvrent cette « nouvelle » liberté dans les rues ravagées par un conflit qu’ils ne comprennent pas.

La guerre vue par une tribu de lion.nes

Une liberté « imposée »

Enfin libres…

Avec les seigneurs de Bagdad, Brian K. Vaughan raconte le parcours de quatre félin.es, dans les rues de Bagdad, lors de l’assaut américain.

On découvre une meute qui vit l’emprisonnement du zoo de façon bien différente.
Côté femelle, Noor, est prête aux alliances les plus improbables pour s’enfuir et se débarrasser des « gardiens ».
Alors que Safa, la vieille lionne, se souvient des horreurs de l’extérieur et apprécie être nourrie et protégée, même si pour cela elle doit renoncer à sa liberté.
Côté mâle, ce sont deux générations qui se font face.
Ali, le jeune lionceau, n’a connu que cet environnement mais cherche à prouver sa valeur, en tant que futur dominant.
Zill se souvient de la jungle mais semble s’être habitué à sa situation.

La guerre, aussi inattendue que soudaine, va bouleverser leur quotidien.
En ouvrant une brèche, la liberté s’impose à eux.
Or, et c’est là toute la subtilité du récit de Brian K. Vaughan, que faire de cet acquis en pleine guerre ?
Ceux qui la rêvaient apprendront à la craindre alors que ceux qui la craignait la redécouvre avec méfiance.

L’intrigue est courte mais brille par son efficacité et la tension qui transpire dans chacune des pages.
Le danger peut venir de n’importe où et, d’ailleurs, il arrive quand on s’y attend le moins.
Il faut dire que l’auteur de Saga et Paper Girl aime jouer avec nos nerfs, tout en nous amenant vers une véritable réflexion politique.

Un récit aux multiples symbolismes

Des dommages collatéraux

Brian K. Vaughan a construit son histoire autour d’un fait réel : la découverte par l’armée américaine de 4 lions dans les rues de Bagdad.

À partir de ce fait, certes atypique mais au fond assez anodin, le scénariste américain développe une vision personnelle de la guerre en Irak.
Et en effet, comment ne pas voir dans cette meute de lion, une émanation du peuple irakien, victime collatérale d’un conflit entre un pays capitaliste et un dictateur.

Le choc est brutal, inattendu et radical.
Et dès les premiers instants, l’auteur nous fait comprendre que la guerre n’épargne personne.
La fuite des animaux du zoo, effrayés par l’explosion, en est un terrible rappel.
Quant à nos lions, ils vont payer cette liberté si chère à Noor par des pleurs et du sang.
Au final, cette guerre leur tombe dessus et ils ne peuvent qu’essayer d’échapper à cette folie typiquement humaine dont ils ne saisissent pas les causes.
Les causes, on les connait tous.
Elles nous sont d’ailleurs rappelées par une tortue qui se souvient de la « première guerre ».

Le dictateur n’échappe pas à la critique acerbe de Brian K. Vaughan.
Sans en dévoiler trop, la scène de l’ours en est une brillante évocation.
Symbole de fureur, de rage, de haine mais aussi d’espoir d’un peuple combattant contre l’oppression.

Reste que la guerre est meurtrière.
Meurtrière et injuste.
De ce point de vue, la fin est d’un réalisme et d’un cynisme confondant.
La morale n’en est que plus cruelle.

Un style à l’européenne

Le lion interloqué par ses « sauveurs »

Niko Henrichon, dessinateur canadien, a une carrière prolifique et variée.
Il a travaillé autant pour Marvel que pour les comics indépendants, faisant même un petit tour du côté de la bd Franco-belge sur les Méta barons .

Cependant, les seigneurs de Bagdad reste sans doute son travail le plus abouti.
Son style se rapproche à plusieurs égards de l’école franco-belge.
Son crayonné est précis, sans encrage, mais réhaussé par une colorisation créant de puissantes ambiances.
Les tonalités jaune orangé, très présentes dans cet album, symbolisent à merveille la chaleur d’un pays pris par le souffle des explosions.

L’anatomie animale, élément primordial du récit, est parfaitement maîtrisée.
Sans tomber dans une copie du Roi Lion, même si Ali a un petit côté Simba, Niko Henrichon réussit le pari de rendre expressifs des animaux aux allures réalistes.

En résumé

Les seigneurs de Bagdad de Brian K. Vaughan et Niko Henrichon est un récit poignant dont le message reste, malheureusement, d'actualité. 

À travers la fuite de ces 4 lions, le scénariste dénonce les ravages d'une guerre, les méfaits d'une dictature mais aussi le cynisme des américains. 
Par ses illustrations, expressives et réalistes, et la richesse de sa colorisation, Niko Henrichon donne vie à cette fable animalière et politique.

Un récit qui résonne avec tous les conflits passés et... actuels. 

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