Tête de chien (Vincent Brugeas / Ronan Toulhoat / Yoann Guillo)

Contre l’avis de son père, Josselin devient chevalier et compte montrer sa valeur à travers ses nombreuses victoires lors de tournois épiques.
Rançon après rançon, la réputation du jeune homme ne cesse de progresser.
Seul Tête de chien semble lui tenir tête mais il faut dire qu’ils se connaissent bien.
Au point de partager un secret inavouable …

Les tournois de chevalerie : le loisir sportif du Moyen-âge

Victoire et rançon

L’imagerie du chevalier

Le chevalier et le folklore qui l’accompagne a toujours été une source d’inspiration de la fiction.
À travers des légendes, des romans, des films et des bandes dessinées plus ou moins réalistes, l’imagerie de la chevalerie a su s’imposer à nous comme un acquis culturel auxquel on prête des vertus plus ou moins anachroniques.

C’est un peu l’idée du duo Vincent Brugeas et Ronan Toulhoat, accompagné pour l’occasion par Yoann Guillo.
Les auteurs, spécialistes de récits historiques documentés, se sont souvent servis du genre comme d’un reflet de notre société.
Ainsi, Tête de chien raconte l’histoire d’un trio qui enchaîne les tournois de chevalerie en quête de reconnaissance.

Car être chevalier au Moyen-âge, c’est un sacerdoce.
Si on les imagine avant tout comme des guerriers, ils sont ici décrits comme des compétiteurs.
En effet, on l’oublie trop souvent mais l’une de leurs activités principales restaient les tournois.
L’objectif était simple : rester actif en « période de paix » tout en prouvant leur valeur auprès de seigneurs locaux.

L’ancêtre de la compétition sportive

Mais ce « loisir » est assez onéreux et on commence souvent en bas de l’échelle.
C’est le cas de notre duo Josselin et Jehan, accompagné de leur écuyer Paulin.
A travers leur parcours, on découvre toute une organisation qui, à certains égards, rappelle nos compétitions sportives modernes.
Cette dimension est parfaitement retranscrite dans ce qu’elle a de positif (l’esprit de compétitivité) mais aussi de négatif (les paris illégaux et la tricherie).

Les tournois tournent autour de la rançon.
Si Vincent Brugeas en simplifie les modalités, c’est avant tout pour lui donner une portée un peu plus moderne.
La rançon est la récompense que le perdant paie au vainqueur.
Elle témoigne de la supériorité d’un chevalier mais devient aussi le gage qu’on tente d’acquérir à tout prix.
Au risque d’enfreindre l’éthique morale du chevalier.

L’appât du gain démontre comment l’argent peut dénaturer l’éthique d’un chevalier.
À partir du moment où la récompense est plus importante que la compétition, le rôle de ces « sportifs » hors normes perd de son sens.
Et pour cela, notre époque ne manque pas d’exemples.

Des personnages solidement ancrés à leurs principes

L’éthique du chevalier

Vincent Brugeas a accordé une grande importance à la caractérisation de ses personnages, principaux comme secondaires.

Tête de chien se divise en 6 chapitres (à la façon des comics).
Chacun d’entre eux est introduit par un personnage qui, à la manière de The nice House on the Lake, remet en questions le modèle de cette société médiévale.

Si Jehan « Tête de chien » reste le pivot central de l’intrigue, ce premier tome se concentre au final sur un trio.
Josselin est l’archétype même du chevalier.
Son éthique est si pure qu’il accepte des selles de cheval comme gages de rançon.
Valeureux, honnête et tolérant, il n’est pas figé dans un carcan caricatural et se montre plus complexe qu’il n’y paraît.
Il sait se remettre en question et accorde à Jehan un talent qui défie même son égo de combattant.
Jehan, pour ne pas trop en dévoiler, cache un secret sous cette armure de fer.
Un secret qui résonne avec notre époque mais évite de tomber dans la facilité anachronique.
Jehan est un chevalier extraordinaire mais qui doit faire encore ses preuves.
Si victoire il y a, c’est parfois par l’entourloupe.

Cependant, le personnage le plus contrasté du trio reste Paulin.
Si le début du récit donne l’impression que nos lascars se connaissent depuis toujours, on comprend que leur amitié est assez récente.
Et l’écuyer est sûrement le moins transparent des trois.
Celui qui n’hésite pas à emprunter des chemins tortueux pour rendre service à ses « maîtres ».

A cela on peut ajouter Gaucher de Joigny, seigneur qui cherche la reconnaissance par la victoire, Oddard le prêteur sur gage et maître des paris, et surtout le mystérieux chevalier Noirci qui use de méthodes peu orthodoxes pour enchainer les succès.

Ce sont ces personnages, parfaitement campés, qui apportent consistance et richesse à une intrigue au final assez simple.
Par leur moralité ou immoralité, ils amènent de nombreux questionnements et construisent une base solide pour les futurs volumes.

Un dessin puissant et réaliste

Un dessin soigné et fluide

Cela fait plus de 20 ans que Ronan Toulhoat et Vincent Brugeas collaborent ensemble.
De Block 109 à la République du crâne, ils n’ont eu de cesse de montrer une maitrise et un intérêt certains pour les sagas historiques, notamment moyenâgeuses.

On retrouve ainsi, dans le dessin de Ronan Toulhoat, un sens du détail et du réalisme dans les armures des chevaliers mais aussi dans les environnements qui les entourent.

Avec Tête de chien , le dessinateur semble avoir épuré légèrement son trait.
Pour être plus précis, c’est surtout son encrage qu’il assouplit, laissant pour cela une plus grande place à la couleur de Yoann Guillo.
Les illustrations sont lumineuses même si les auteurs nous réservent de belles scènes de nuits et une attention particulière aux scènes introductives.

Si on pouvait craindre une puissance graphique moindre, il n’en est finalement rien.
Les combats entre chevaliers restent précis et surtout parfaitement narrés.
La mise en scène est efficace et retranscrit la brutalité et la puissance des coups, à l’image d’un dernier affrontement particulièrement épique.

Au final, Tête de chien est l’exemple même d’une parfaite collaboration entre un dessinateur et son coloriste.

En résumé

Avec Tête de chien, Vincent Brugeas, Yoann Guillo et Ronan Toulhoat proposent un premier tome dense qui pose les bases d'une future saga historique. 

A travers cet affrontement "sportif" entre chevaliers, les auteurs mettent en scène des personnages complexes et une réflexion intéressante sur l'éthique du compétiteur. 
Ou comment dénoncer le poids de l'argent, direct ou indirect, dans les compétitions sportives à travers l'éthique de la chevalerie. 

Ronan Toulhoat a, pour l'occasion, légèrement épuré son dessin et laissé de la place aux couleurs éclatantes de Yoann Guillo. 
Néanmoins, il n'en perd pas son mordant et illustre des affrontements denses et prenants. 

On attend avec impatience le livre II. 

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