Donny Cates fait partie des auteurs américains qui ont percé sur la scène du comics indépendant (avec, entre autres, le bouleversant God Country, déjà accompagné par Geoff Shaw) avant de se faire repérer par l’ogre Marvel (où il officiera entre autres sur Venom, Les gardiens de la galaxie et Thor).
Malgré ses nombreux projets mainstream, l’auteur et son compère de toujours refont un petit tour chez Image Comics.
Ils nous proposent une nouvelle série qui résonne comme une lettre d’amour aux comics et à ses personnages iconiques.
Des super-héros dans le monde réel
Sans aucune raison apparente, les héros de comics sortent de leurs pages et déboulent dans le monde réel pour affronter leurs ennemis, provoquant des catastrophes en chaîne.
Ainsi, le 11 janvier 2017, lors de l’événement Crossover, le Colorado est dévasté.
Mais un « Super » crée un champ de force et enferme les héros et leurs ennemis dans les restes de la ville.
Depuis ce jour, ces êtres de fiction sont haïs par une partie de la population et chassés par le gouvernement.
Un regard profond sur le petit monde du comics
En lisant la proposition de Donny Cates, j’ai immédiatement pensé à 1985, une des meilleures histoires de Mark Millar avec Tommy Lee Edwards aux dessins.
Ce comics racontait comment les super vilains Marvel ont percé une brèche pour envahir le monde réel.
Un postulat similaire à celui de Crossover ( on y retrouve là aussi cet amour du comics) à ceci près que Donny Cates va bien plus loin dans son approche sans hésiter à pas à pointer du doigt « les bien pensants » ou les profiteurs du système.

D’ailleurs la citation de Fredric Wertham* ou l’introduction sont assez cyniques : le super héros est d’abord vu comme un être destructeur… Un être pervertissant l’humanité et sa jeunesse.
Homme de foi et gouvernement uni contre les héros
Dans ce contexte, il n’est pas anodin de voir un homme de religion comme porte-drapeau de la contestation anti super-héros, n’hésitant pas à utiliser ( ou à punir) son propre fils pour servir, avec violence, sa cause.
Il est d’ailleurs prêt à tous les excès pour arriver à son but. même s’il faut pour cela pactiser avec le diable.
La relation entre les deux hommes ne s’établie que par la violence.
Cela est d’autant plus cynique que l’homme d’église lutte, selon lui, contre la violence intrinsèque des héros costumés.
Dans le même ordre d’idée, le gouvernement n’hésite pas à emprisonner ceux qu’il considère comme des monstres (dans une imagerie qui rappellera d’ailleurs l’épisode de Dave Sim dans Spawn qui critiquait, à l’époque, la main-mise de Marvel et Dc sur les créations de ses auteurs).
Les monstres ne sont, au final, pas ceux que l’on croit et le message du scénariste est clair : Qui pervertit vraiment la jeunesse et la population ?
Crossover ou la psychanalyse des auteurs de comics
Certains moments sont absolument jouissifs, même s’il faut l’avouer, ils auront un impact d’autant plus fort si on connaît les oeuvres citées.
Les auteurs n’hésitent pas à utiliser (avec la bénédiction de leurs collègues) de nombreux super héros venant d’Image Comics ou de Dark Horse et multiplient les références et les clins d’oeil appuyés autant aux créations qu’à leurs créateurs.
Une approche qui va prendre tout son sens à partir du volume 2.
Les auteurs, que ça soit Chip Zardsky, Brian M. Bendis, Robert Kirkman ou Donny Cates lui-même se mettent en scène avec amusement mais aussi une certain émotion.
Les auteurs mis en scène vont jusqu’à prendre eux-même le relai de Donny Cates et exprimer leur ressentiment sur ce qu’ils sont et comment ils sont perçus que soit par les lecteurs ou leurs créations.
Si bien sûr, tous ces propos doivent être pris avec des pincettes, ils n’en restent pas moins puissants.
La partie avec Kirkman est une chouette analyse du rapport entre créateur et création mais c’est celle avec Donny Cates qui reste la plus émouvante.
Le tout se terminant sur un cliffhanger évident et pourtant totalement inattendu.
Et si ce n’était qu’une histoire d’amour
Crossover c’est aussi l’histoire de son personnage principal : Elie.
Gérante du dernier comics Shop, elle se retrouve à vouloir aider une paria (un personnage de comics sans pouvoir).
Elie est une battante qui assume ses positions : Geek, fan de cosplay dans un monde qui déteste les super héros, c’est en quelque sorte une rebelle, un mouton noir qui ne suit pas le rang imposé par le reste de la société.
Avec ce personnage, Donny Cates rend hommage à ses nombreux lecteurs de comics qui ont fait vivre un média, à une époque où il n’était pas encore cool d’être un geek.
Avec ce personnage, il voulait aussi écrire une histoire d’amour.
Celle de deux personnages que tout oppose et qui se retrouve par l’adversité.
Cet aspect va complètement disparaître dans le second volume (et pour cause)
D’ailleurs, Ellie sera peut présente, laissant la place aux auteurs et à leurs introspection.
Mais c’est aussi pour mieux revenir sur un final assez incroyable.
Ellie n’a pas dit son dernier.
Et si, au fond, cette histoire d’amour n’était pas le reflet de la réalité de son auteur.
La suite nous le dira.

En résumé
Crossover, dernier coup de génie de la paire Cates/Shaw, est un comics de super héros qui parle de la société américaine mais surtout d'un média qui fait partie intégrante de sa culture.
C'est aussi l'introspection d'un auteur (et quelques autres) sensible, sincère et juste de ce qu'ils sont en tant que créateurs mais aussi en tant qu'hommes.
Crossover est un comics absolument bluffant, prenant voire époustouflant.
Donny Cates gère à merveille le 4eme mur et il sera sans doute difficile de faire mieux que lui.
Top 1 des comics 2022 pour MTEBC

*Fredric Wertham est un psychiatre américain qui mena une campagne dans les années 50 pour combattre l’influence des comics sur les enfants.
Il voit les comics comme des loisirs immoraux, dénaturant l’enfant et sur imposant une vision violente et contre nature de la société.
Sa critique sera à l’origine de l’instauration du Comics Code, une sorte de code d’éthique imposé aux auteurs de comics
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