Randolph Stein est spécialisé dans la démystification de légendes.
Après avoir prouvé que le Yéti n’était rien d’autre qu’un ours d’Himalaya, il est engagé pour retrouver un certain Marlowe.
Ce dernier s’est lancé dans une expédition sous-marine, à la recherche de l’Atlantide mais n’aurait donné aucun signe de vie depuis plusieurs jours.
Stein intègre l’équipe d’un sous-marin pour retrouver l’explorateur et prouver que la cité légendaire n’est rien d’autre qu’un mythe.
Une cité qui aurait pour protecteur un dénommé Namor.
Carte blanche chez Marvel
Profitant de l’arrivée de Namor dans une version remodelée du MCU ( Black Panther : Wakanda Forever), Panini réédite la mini-série de Peter Milligan et Esad Ribic, Namor : voyage au fond des mers.
Namor est un personnage complexe.
Créé en 1939 par Bill Everett, il est d’abord un allié des super-héros lors de la seconde guerre mondiale.
Puis, après avoir disparu de la circulation, on le retrouve dans les années 60 où il deviendra un « ennemi » récurent des Fantastic Four.
Le prince atlante se démarque tout d’abord par ce caractère fougueux qui place la cité de l’Atlantide et ses habitants au-dessus de tout.
Cette éthique l’amène à s’opposer aux humains, jugeant que l’espèce humaine met en danger la sienne.
C’est d’ailleurs un des éléments centraux du récit de Peter Milligan.
Personnellement, je n’ai jamais ressenti un quelconque attachement pour ce personnage.
Arrogant voire antipathique, il fallut attendre les travaux John Byrne pour découvrir un « héros » plus subtil.
Et surtout plus humain, laissant aussi de côté l’aspect royal (et ronflant) du personnage.
De façon intelligente, Peter Milligan axe son intrigue sur le mythe du protecteur, rendant le personnage irréel.
Peur sous-marine
Randolph Stein est un pur esprit scientifique.
Mais on comprend assez vite qu’il n’y connait rien en fond marin.
Sujet au mal de mer et peu à l’écoute des récits extravagants des marins, il se retrouve mis à l’écart de l’équipage.
Une solitude qui peut assez vite amener à la folie.
De ce point vue là, Peter Milligan reprend les codes du récit fantastique et s’éloigne sans vergogne de ceux du super-héros.
Un peu comme H.P. Lovecraft, l’auteur s’amuse à instiller le doute auquel doit faire face l’esprit cartésien du docteur (et du lecteur).
Ici, l’unité de lieu est primordiale.
Déjà la mer, un univers vaste mais totalement inconnu.
Un monde où, plus on s’enfonce, plus le décor s’assombrit, cachant des créatures étranges qui nourrissent les histoires les plus terrifiantes.
Ensuite, le sous-marin, espace clôt où les hommes sont tassés les uns contre les autres.
Ce lieu où la promiscuité transforme le doute en paranoïa.
Une ombre se reflète sur la carcasse du navire : est-ce Namor ou un simple poisson ?
D’ailleurs, existe-t-il vraiment ou est-ce le fruit d’une illusion collective ?
Randolph Stein doit faire face à ses propres errements liés à sa méconnaissance du milieu mais aussi à une culpabilité qu’il tente vainement d’enfouir en lui.
Dans ces conditions, la tension monte de plus en plus en pression (à l’image du sous-marin) au sein de l’équipage.
Les conflits et les désaccords sont de plus en plus prégnants mais le scientifique restera arc-bouté sur ses principes, quitte à renier ce qu’il voit de ses propres yeux.
La science ne peut se permettre de rendre réel, l’irréel.
Le reflet de la noirceur des bas-fonds
On a déjà mentionné le travail d’Esad Ribic sur le magnifique Silver Surfer : requiem.
Alors que ce dernier mettait en scène les merveilles de l’infiniment grand, le voilà qu’il s’attaque aux profondeurs des océans.
Deux espaces, au final, assez proches, autant par leur immensité que par les mystères dont ils regorgent.
Le style du dessinateur croate est unique.
Son trait réaliste et expressif ainsi que sa palette de couleur aux tons tranchés lui confèrent une patte graphique immédiatement reconnaissable.
Sur ce récit, il réussit à retranscrire l’atmosphère oppressante et suffocante du sous-marin.
L’effroi peut venir de partout, de l’océan mais aussi d’un des recoins de l’engin.
Le Docteur Stein n’est en sécurité nulle part et Esad Ribic donne forme à ce malaise mais aussi aux contradictions d’un homme qui perd peu à peu pied.
L’ensemble est un pur émerveillement où chaque case a la puissance d’un tableau.
Que ce soit par petites touches (une main qui apparait sur un hublot) ou sur des cases entières où l’obscurité happe les personnages, le travail d’Esad Ribic est fascinant.
On ne peut qu’être ébloui par cette perfection graphique.
En résumé
A une époque où Marvel laissait les mains libres à ses auteurs, Namor : voyage au fond des mers fait figure d'exemplarité.
Bien loin du récit super héroïque habituel, Peter Milligan et Esad Ribic proposent une intrigue fantastico-horrifique aussi effrayante qu'une nouvelle d'H.P. Lovecraft.
La tension du récit monte crescendo, aidée par les dessins atmosphériques d'un Esad Ribic au sommet de son art.
Jamais Namor n'aura été aussi peu présent dans un récit qui lui est consacré et pourtant, jamais il n'aura été aussi effrayant.
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