Tokyo, ces jours-ci (Taiyô Matsumoto)

À Tokyo, Shiozawa démissionne de son poste d’éditeur après 30 années de bons et loyaux services.
Ne se retrouvant plus dans les nouvelles normes du marché, il préfère quitter ce monde qu’il adore avant de le détester pour de bon.
Mais est-ce que ce passionné de la première heure peut réellement vivre en dehors des mangas ?

Un manga de passionné

Tokyo, ces jours-ci signe le grand retour de Taiyô Matsumoto après 6 ans d’absence.
Son album précédent, Le chat du Louvre lui apporte une forme de considération européenne mais c’est avec Sunny qu’il conclut un cycle consacré à l’adolescence et à la famille sous toutes ses formes.
On est donc heureux de le voir aborder, avec cette nouvelle série, l’âge adulte d’une façon assez inattendue mais logique dans le parcours du mangaka.

La vision de l’éditeur

L’impossible séparation

Tokyo, ces jours-ci s’intéresse au monde du manga.
Mais contrairement à Trait pour trait ou Look Back, Taiyô Matasumoto adopte le point de vue d’un éditeur.
Il faut savoir que l’éditeur est un rouage essentiel de l’industrie du manga. Coach, conseiller et parfois co-scénariste, il entretient une relation assez particulière avec les auteurs qu’il assiste. Une relation teintée de franchise mais aussi d’un profond respect.
Et on sent, dans les propos du mangaka, une véritable tendresse pour ces hommes et femmes de l’ombre.

Tokyo, ces jours-ci développe deux visions éditoriales.
Shiozawa fait partie de l’ancienne génération. Passionné, il aime autant les artistes que les oeuvres dont iels accouchaient.
Au fond, il fait figure de vieux sage, se rappellant d’une époque où le manga le faisait encore vibrer.
Et c’est sans doute cela le problème. Le monde a changé, les attentes des lecteur.rices ont évolué et il ne s’y retrouve plus.
Alors, comme une forme d’abandon, il quitte un milieu qu’il ne souhaite pas haïr.
Cela n’enlève en rien l’attachement qu’il porte aux mangakas.
Que ce soit Chôsaku ou Aoki, on sent ce respect mutuel malgré des échanges tranchés.

Liliko représente la nouvelle génération.
La jeune femme cherche à épauler Aoki mais il est encore trop jeune pour accepter les remarques d’une jeune éditrice qui, selon lui, n’aime même pas les mangas.
Par ce biais, Taiyô Matsumoto décrit un relationnel conflictuel où chacun campe sur sa position.
L’ambition et les égos sont forcément de la partie mais, comme souvent avec Taiyô Matsumoto, tout est traité avec douceur sans tomber dans des exagérations sentimentales.
Au fond, il donne une voix à tous ses personnages comme si chacun d’entre eux était une part de lui-même.

La vision du mangaka

Mise en abîme

Et effectivement, on ne peut pas vraiment parler de Tokyo, ces jours-ci sans y voir une forme de réflexion autour de la prestigieuse carrière de Taiyô Matsumato.
D’ailleurs, ce n’est pas la première fois que son vécu nourrit ses mangas.
C’était déjà le cas avec Le rêve de mon père et Sunny qui s’inspirait de sa jeunesse.

Or, avec un tel regard sur l’essence même du mangaka, l’auto-critique n’est guère éloignée.
À certains égards, Aoki et Chôsaku sont des émanations de Taiyo Matsumoto.
Aoki reflète l’arrogance d’une jeunesse où l’expérimentation prime sur la communication éditoriale.
Alors que Chôsaku symbolise cette perte d’innocence et la redondance d’un auteur qui a laissé de côté les exigences de ses débuts.

Tokyo, ces jours-ci montre aussi une image plus réaliste de ce milieu en s’éloignant des fantasmes qui l’entoure.
Taiyô Matsumoto explore ce que personne n’ose exprimer : le manga est aussi une souffrance.
Ce métier « passion » est un sacerdoce, obligeant à des sacrifices autant sur sa vie personnelle que sur ses convictions… surtout si on espère durer.
Car, dans le lot, peu accèdent à une reconnaissance durable et certain.es disparaissent dans l’anonymat complet.
C’est aussi à eux que Taiyô Matsumoto rend hommage.

Cette abnégation renforce l’envie de se dépasser pour proposer un travail de valeur.
Pas forcément celui qu’exigent les modes ou les attentes d’un lectorat de fan mais tout simplement celui qui rend fier son auteur.rice.

Un trait unique

se jouer des règles

Et cette ambition doit aussi se retrouver sur la partie graphique.

Taiyô Matsumoto a toujours été un auteur à part.
Davantage inspiré par les auteurs franco-belges, Moebius en tête, il s’éloigne rapidement des carcans du manga, embrassant rapidement une forme d’indépendance graphique.
Il se permet même d’injecter cette folie dans du shonen avec Ping Pong ou encore sur le cultissime Amer Beton, sans doute son oeuvre la plus connue.

Son trait acéré et fin explose les règles de proportion et d’anatomie pour les faire siennes. Ainsi, il décuple les effets de dynamisme sans pour autant utiliser les fameux traits de vitesse.
Ses pages en couleur, aussi rares soient-elles, sont toujours aussi belles, avec un aspect fusain fusionnant à des crayonnés charbonneux.

Avec un sujet comme celui de Tokyo, ces jours-ci, son style se veut moins excessif, adoptant une forme de sobriété, notamment dans ses cadrages.
Il frôle une forme de réalisme décalé apportant de la nouveauté à un dessin déjà unique en son genre !

En résumé

Tokyo, ces jours-ci signe le grand retour de Taiyô Matsumoto. 
Après avoir exploré les affres de l'adolescence, il attaque l'âge adulte en s'emparant d'un sujet qu'il connaît parfaitement : le manga.

En adoptant le regard d'un éditeur démissionnaire, il nous fait découvrir un milieu aux multiples exigences, tensions et remises en question.
Plus qu'un manga sur le manga, c'est une réflexion sur ce milieu de passionné. Une passion qu'il faut entretenir pour ne pas la ternir.
Entre les pressions éditoriales et les nouvelles modes du lectorat, éditeurs comme auteurs luttent pour rester à la hauteur de leur ambition.

Tokyo, ces jours-ci est aussi sensible que brillant et n'hésite pas à aborder le malêtre, l'abandon et la solitude de certain.es, disparaissant dans l'anonymat complet.

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