Ulysse est un enfant de bonne famille dont l’avenir est tout tracé : reprendre et faire fleurir l’entreprise familiale.
Mais alors que cette même entreprise se retrouve en proie à la justice, le jeune garçon se met au vert avec sa mère pendant que son père tente d’apaiser la situation.
C’est lors de cet « exil » dans les Maranges qu’Ulysse fera la connaissance de Cyrano, un amoureux de la cuisine au fort tempérament.

L’art de la table comme art de vivre

Un destin pré-établi

Ulysse & Cyrano du trio Xavier Dorison, Antoine Cristau et Stéphane Servain met face à face deux mondes que tout oppose.

Déjà, symboliquement, leurs noms laissent entrevoir des caractères bien diffèrents.
Car oui, ces noms n’ont pas été choisis au hasard par nos deux scénaristes.
Ulysse, c’est un roi qui, par obligation, entame un voyage qui le changera à jamais.
D’une certaine façon, il y a un peu du Ulysse mythologique dans cette version « modernisée ».

Ulysse est un privilégié. Futur héritier de l’entreprise familiale, son destin est tout tracé.
À condition d’être à la hauteur des exigences d’un père et d’un grand-père qui n’admettent guère les erreurs de l’adolescent.
Xavier Dorison et Christian Cristau nous décrivent un garçon certes habitué aux petites attentions de sa vie de tous les jours mais enfermé dans une sorte de cage dorée.
On sent qu’il cherche une forme d’accomplissement, notamment à travers les arts.
Mais ces « cachoteries » lui sont totalement refusées. Il doit être le meilleur et, pour cela, il ne doit pas perdre son temps dans les futilités.
Au final, le jeune garçon ne manque de rien mais il n’est pas heureux.

Alors que la guerre enclenche le voyage de l’Ulysse mythologique, ce sont les répercussions d’une autre qui envoient le jeune garçon, accompagné de sa mère, à la campagne.
D’abord subie, cette nouvelle situation est une aubaine pour lui.
Il peut enfin sortir de sa bulle et se confronter au monde réel. Et il ne lui faudra pas longtemps pour profiter de cette liberté.
D’abord par séduction puis par la découverte d’une nouvelle passion.

Comme le héros légendaire, son excursion va le transformer.

Le goût des bonnes bouffes

En rencontrant Cyrano, Ulysse découvre un monde jusque là inconnu de lui.
Cyrano est à l’image de son homonyme. Impétueux, un caractère bien trempé, pour ne pas dire colérique, c’est un homme passionné et empreint de traditions.
Et cette passion tient en un seul mot : la cuisine.

Quand on le rencontre pour la première fois, on découvre un homme en fin de parcours, n’acceptant pas la défaite et commettant l’irréparable.
D’une certaine façon, sa rencontre avec Ulysse le change autant qu’elle transforme le jeune garçon.
Le vieil homme, dont la réputation a été ternie par le temps, ne cuisinait plus, sauf pour de rares amis.
Avec Ulysse, il redécouvre le plaisir non seulement d’enseigner ses savoirs mais de les partager avec les autres.
Et franchement, on salive littéralement devant les petits plats de notre cuistot.
Personnellement, c’est bien la première fois que je rêve de participer à une messe.

Tout n’est pas simple et, autant dans le parcours d’Ulysse que dans celui de Cyrano, les embuches seront nombreuses.
Être passionné ne suffit pas et cela demande des sacrifices qu’il faut être prêt à accepter.
Si Ulysse doit lutter contre un formatage social, Cyrano doit s’absoudre de fautes passées.
Les derniers chapitre sont d’ailleurs forts en émotions, démontrant qu’un tel changement de vie ne peut pas se faire sans rupture, aussi brutale soit-elle.

Un dessin savoureux

Il est bien difficile de nous donner faim avec de simples images.
Et pourtant, avec Ulysse & Cyrano, Stéphane Servain réussit admirablement le pari.

Chaque illustration de plats, chaque moment passé dans les cuisines de Cyrano est non seulement un ravissement pour les yeux mais aussi pour les papilles.
On sent presque les effluves de ces mets s’échapper des cases de l’album.

Malgré tout, le trait de Stéphane Servain reste assez classique.
Des lignes longilignes, un encrage un peu strié qui laisse entrevoir la spontanéité des crayonnés et une mise en page sobre mais variée.
D’une certaine façon, je lui trouve certaines accointances avec le style de Virgine Augustin, même si je trouve le travail des expressions un peu plus réservé chez Stéphane Servain.
De même, les couleurs, dont il a la charge, sont un peu plus plates. Elles apportent cependant des tonalités franches, symbolisant à la perfection l’ambiance des scènes décrites.

Le travail est maitrisé mais devient absolument savoureux dans sa mise en scène de l’art culinaire.
Et c’est sans doute la grande réussite de cet album ! Comme si un art répondait à un autre.

Un album au prix d’un 3 étoiles

On ne va pas se le cacher bien longtemps mais j’ai eu un petit coup de coeur pour cet album.
Malgré la simplicité, une véritable émotion se dégage de cette rencontre et on se laisse emporter autant pas la senteur des plats que par cette quête de liberté.
Vivre de sa passion n’a pas de prix.

Par contre, acheter une bande dessinée commence à avoir un coût conséquent et ce n’est malheureusement pas le prix de cet album qui me fera mentir.
35 euros pour un peu moins de 170 pages, ça pique !

Un peu par hasard, par le biais des réseaux sociaux, Stéphane Servain m’a expliqué qu’à l’origine, Ulysse & Cyrano était prévu en 3 tomes et que le prix de la série aurait été au-dessus des 35 euros.
Donc, au final, on peut se dire que le lecteur est gagnant.
Sauf que les albums à 35 euros deviennent petit à petit la norme et démontrent l’abandon progressif des séries.
La frilosité des éditeurs pour le format série, à tort ou à raison, amène à ce genre de tarifs. Comme si on était condamné à acheter directement des formats intégrale.

Je pense que c’est une erreur de continuer sur cette voie.
A ce prix, même les grands lecteurs dont je fais partie commencent à tirer la langue. Et surtout, on fait fuir une nouvelle génération qui ne peut aucunement mettre une telle somme.

Si encore cette augmentation servait à mieux rémunérer les auteurs…

En résumé

Ulysse & Cyrano de Xavier Dorison, Antoine Cristau et Stéphane Servain est un voyage autant initiatique que gustatif. 

À travers le portrait de deux personnages que tout semble opposer, on découvre le chemin parsemé d'embûches d'Ulysse qui cherche à échapper à sa cage dorée pour vivre de sa passion.
Cette rencontre touchante entre Ulysse, le jeune passionné, et Cyrano, le cuisinier bougon, est un pur délice d'émotions. 

Le dessin de Stéphane Servain réussit à nous faire saliver en mettant en image des mets exquis. 

Un album simple et pourtant un coup de coeur sincère. 
Dommage que le prix fasse un peu mal au porte-monnaie.

Pour lire nos chroniques de Festin de nuit et Mercredi, c’est ravioli !