Mots Tordus et Bulles Carrées

Friday (Ed Brubaker / Marcos Martin)

Friday est de retour à Kings Hill pour les fêtes de Noël.
Alors qu’elle aimerait discuter avec son ami Lancelot Jones, ce dernier l’embarque dans une enquête dont il a le secret.
Un autre cas étrange dont la ville regorge et qu’ils s’amusaient à résoudre des années plus tôt.

Retour au bercail

Friday, une fille qui ne se laisse pas faire

Dès les premières pages, on est immédiatement plongés dans l’ambiance du récit d’Ed Brubaker.
On suit Lancelot et Friday, accompagnés par le shérif de la ville.
Le trio est à la poursuite de Fouinard, un garnement à qui ils ont eu affaire à de maintes reprises.
Mais voilà, Friday n’a pas la tête à cela.
La jeune fille a quitté Kings Hill pour ses études et la séparation avec son meilleur ami ne s’est pas faite dans de bonnes conditions.
Or, il lui est impossible d’aborder le sujet, tant Lancelot est pris par l’adrénaline que lui procure son enquête.

Ed Brubaker, comme à son habitude, se montre fin psychologue.
Il trouve le noeud parfait à dénouer dans l’histoire commune de Friday et Lancelot.
Le duo, sorte de Sherlock et Watson paumés dans une petite bourgade américaine, est immédiatement attachant.
Les bribes d’expériences communes, de la rencontre jusqu’aux premières collaborations, apportent du corps à une vie déjà bien remplie malgré leur jeune âge.
On s’attache rapidement à ce duo , ce qui accentue d’autant plus le cliffhanger du premier tome.

Le scénariste américain a une approche très actuelles des personnages féminins et Friday ne déroge pas à cette règle.

Friday est un garçon manqué qui s’est mis à porter des jupes et du rouge à lèvres.

Ed Brubaker

Rien qu’avec cette brève description, on saisit que la jeune fille est en pleine transition.
Forte de caractère, elle délaisse cependant le côté hockeyeuse qui fonce dans le tas pour vivre comme une jeune adulte.
Elle a grandi et n’aspire plus forcement aux mêmes choses.
Malgré, ce retour au source l’oblige à reprendre le flambeau malgré elle.

Il faut dire que Lancelot n’est pas le plus facile des amis.
Elle a toujours pris le parti du petit génie de Kings Hill avec lequel elle a vécu moultes aventures.
Malgré leur séparation houleuse, le jeune garçon est resté le même physiquement et psychologiquement.
Pour lui, les mystères à résoudre passent avant tout.
Le second volume montre d’ailleurs à quel point le jeune détective a poussé son sens de la déduction, allant jusqu’à « deviner » les décisions futures de son amie.
Lancelot, même absent, s’avère omniprésent et semble poser les pions d’une affaire qui prend de plus en plus une tournure fantastique.
Cependant une question reste en suspens.
Si le garçon a tout deviné, comment est ce possible que l’essentiel lui ai échappé ?

Polar fantastique et légende urbaine

Un comportement bien étrange

La réputation d’Ed Brubaker pour les polars urbains (Criminal, Reckless …) ou ses histoires de superhéros à la sauce polar (Captain America, Gotham Central…) n’est plus à faire.
C’est un genre qu’il affectionne tout particulièrement et dont il maitrise les codes à la perfection.

On retrouve d’ailleurs très bien cette aptitude dans le scénario de Friday.
L’originalité aurait pu venir de l’apport de fantastique mais c’est une chose qu’il a déjà réalisé avec Fatale.
En réalité, le défi est d’avoir réussi à faire de Friday une série young adult abordable pour un large public, tout en préservant la puissance de son écriture.
C’est un projet qu’il avait en tête depuis des années et on sent toute l’implication d’un auteur qui s’éclate dans ce qu’il fait.

Ainsi, on retrouve bons nombres des « clichés » du genre : des jeunes personnages, un ville perdue dans le territoire, des légendes mystérieuses et des enquêtes obscures.
Là où Ed Brubaker est malin, c’est en implantant son histoire bien après « l’heure de gloire » de nos enquêteurs.
C’est un peu comme si on retrouvait Scooby Doo et toute sa bande après une longue séparation.
Ces succès font partie du passé (et de la construction) de Friday mais sa vie est désormais plus « rangée ».
Mais, dès que Lancelot l’embarque , elle reprend vite ses marques.
C’est un peu comme le vélo, cela ne s’oublie pas !

La dose de fantastique apparait par petites touches pour prendre, petit à petit, le dessus sur la réalité.
La machination rentre en branle dès le volume et montre une emprise bien plus importante qu’escomptée.
Le cliffhanger, assez inattendu, du premier volume a clairement bousculer les choses et amène Friday à revoir ses priorités.

Le second tome bouscule autant le lecteur que la jeune fille.
Ed Brubaker ménage ses révélations jusqu’à accèlérer le rythme pour une scène de combat absolument dantesque.
Et, là aussi, le cliffhanger du second tome amène son lot de question qui n’attendent que leur réponse dans le troisième et dernier volume.

Sortir de sa zone de confort

Les mystères de King’s Hill

Si Ed Brubaker a su sortir de sa zone de confort en proposant un récit Young Adult, Marcos Martin n’est pas en reste.

L’auteur espagnol, qui a fait une partie de sa carrière chez Marvel Comics ( Spiderman), a ensuite retrouvé Brian K. Vaughan pour créer un label numérique (Panel Syndicate) avec lequel ils ont publié Private Eyes.

C’est par ce biais qu’Ed Brubaker va proposer son projet au dessinateur.
De l’aveu même du scénariste, le style de Marcos Martin était celui qui correspondait le mieux à l’univers qu’il voulait retranscrire dans Friday.
Et quand on connait le style de Marcos Martin et ses influences « Steve Dikto », on comprend ce qui a pu plaire à Ed Brubaker.

Cependant, le dessinateur n’est pas resté sur ses acquis.
Il a, pour l’occasion, énormément affiné et détaillé son trait, notamment sur les scènes de souvenirs ou de cauchemars qui sont absolument magnifiques.
Même le traitement de ses personnages, ainsi que celui de la matière, gagne en intensité, tout en gardant la fluidité de ses précédents travaux.

Un traitement qu’opère aussi sa coloriste attitrée, Muntsa Vicente, qui conserve ses tons pastel tout en les atténuant par des filtres opaques apportant cette atmosphère lugubre contrastant avec la blancheur de l’environnement enneigé.

En résumé

Friday est un pur polar fantastique, à l'atmosphère soignée et aux personnages typés. 

Ed Brubaker développe la richesse psychologique de ses deux héros, en pleine transition vers l'âge adulte. 
Si Friday semble avoir fait ses choix, son meilleur ami Lancelot, reste absorbé par les mystères qui pullulent à Kings Hill. 

Marcos Martin se régale en mettant en image cette mystérieuse affaire et modifie habilement son trait pour l'occasion. 

Une pure réussite confirmé par un second tome qui alterne avec une certaine facilité, l'émotion au mystère, l'enquête à l'action. 

Prix et récompenses

  • Eisner Award 2021 du meilleur comics digital

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Bulles Carrées

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