La cuisine des ogres (Fabien Vehlmann / Jean-Baptiste Andreae)

Blanchette intègre difficilement la rue auprès d’un groupe d’orphelins.
Alors qu’elle part chercher de l’eau, ces derniers sont capturés par Grince-Matin, un croquemitaine en quête de proie facile.
Ni une, ni deux , elle se lance à leur poursuite, aidée en cela par un chevalier solitaire.
Mais leur acte bravoure tourne court et ils se retrouvent pris au piège puis envoyés au marché des enfants de la Dent du chat.

Leur sort est scellé : ils vont finir dans un plat de la cuisine des ogres.

À la bonne franquette

Une héroïne de conte moderne

Une jeune fille courageuse

La cuisine des ogres de Fabien Vehlmann et Jean-Baptiste Andreae retrouve, au moins dans sa structure, l’esprit des contes que la culture moderne n’a eu de cesse d’aseptiser.
Avec ce récit, le scénariste met en scène la noirceur des contes d’antan, sans pour autant s’éloigner du monde de l’enfance.

Sombre voire sanglant, l’univers de La cuisine des ogres n’est pas des plus reluisants.
Et pourtant, au milieu de cet amas de viande, trône une figure lumineuse : Blanchette.
Apparaissant dès les premières pages du récit, le passé de la jeune fille reste mystérieux.
Seules informations : son père est boucher et semble l’avoir abandonnée à son propre sort.
Cependant, sa vie d’antan va rapidement disparaître derrière le fracas de sa survie à la Dent du chat.
Caractérisée par cette chevelure blanche, elle ne paie pas de mine.
Pourtant, elle a tout de l’héroïne de conte. Courageuse, débrouillarde, intelligente et, il faut bien l’avouer, un poil chanceuse. Le sobriquet « Trois-fois-morte » en est la meilleure preuve.

Fabien Vehlmann écrit un véritable parcours initiatique autour de Blanchette.
De petite fille perdue, sans doute rongée par une vie passée qu’elle ne mentionne pas, elle trouve sa voie dans cet endroit improbable.
La scène finale en est un très beau symbole : parler de ses maux pour que son interlocuteur lui confie les siens.
Après avoir été victime, elle devient actrice de son destin qu’elle prend en main tout en continuant à protéger les siens.

Dans la cuisine des ogres

Les dessous d’une cuisine peu ragoutante

Avec La cuisine des ogres, Fabien Vehlmann n’y va pas avec le dos de la cuillère.
Autour du récit initiatique de Blanchette, le scénariste développe, avec la Dent du chat, un royaume propice aux cauchemars les plus affreux.
Ogres, krakens, sorcières, gobelins et autres fées peuplent un monde grouillant mais organisé, allant du marché aux enfants jusqu’aux cuisines.
Malgré cette sensation de profusion, la dent du chat tourne autour d’une hiérarchie bien définie, calquée sur la société pyramidale du moyen-âge.
En bas de la pyramide, on retrouve les esclaves jouant le rôle des commis, au milieu les commerçants et les cuisiniers, et tout en haut, les clients.
Jamais « le client est roi » n’aura aussi bien porté son nom.

Ainsi, et sans que cela pose de problème à personne, les enfants servent de pâture à des monstres gargantuesques.
Certes, les auteurs restent « discrets » sur le sort réservé à certains personnages mais l’évidence est là.
Et puis, il y a l’intérieur des cuisines.
L’opulence est de mise mais l’environnement n’en est pas moins fascinant.
La scène du découpage du serpent des mers rappellera aux plus vieux celle du martelage de Maïté sur la pauvre anguille dans une émission qui portait déjà bien son nom : « la cuisine des mousquetaires ».

On peut d’ailleurs aller plus loin dans cette interprétation et définir ce récit comme une parabole de nos propres excès.
Après tout, s’il existe un équivalent actuel à l’ogre, cela ne peut être que l’Homme.

Un graphisme typé mais magnifique

Une mise en couleur magistrale

Il n’y a rien d’étonnant à voir Jean-Baptiste Andreae sur une tel projet.
Après quelques années d’absence à la suite du dernier tome d’Azimut, on est heureux de retrouver ce trait atypique.

Habitué aux univers de fantaisie décalés, on le sent particulièrement à l’aise pour mettre en image toute la faune de la Dent du chat.
Inventif, tout en respectant les codes du genre, il insuffle une véritable prestance à ces nombreuses créatures.
L’une de mes préférées, Grince-Matin, est particulièrement saisissant.
Ce n’est sans doute pas pour rien qu’on le retrouve en couverture.
D’ailleurs, quelle couverture ! Un parfait condensé de ce que l’on va retrouver au sein de cet album.

A l’ère du tout informatique, il est assez rafraîchissant de retrouver chez Jean-Baptiste Andreae, une touche plus artisanale rappelant la grande époque des bandes dessinées des années 80-90.
Les planches regorgent de détails mettant en scène des arrière plans emplis de vie. Cette approche graphique colle à merveille à l’ambiance poisseuse et hors norme du récit.
Il y a d’ailleurs un véritable travail autour de la couleur, apportant un ton et des ambiances variées.
On notera notamment de beaux effets de brouillard.

La cuisine des ogres est un ouvrage aux graphismes originaux et aux couleurs puissantes.
Il y a un côté un peu décalé, hors du temps, dans les dessins de l’artiste qui symbolisent assez bien la nouvelle vie de Blanchette.

En résumé

La cuisine des ogres de Fabien Vehlmann et Jean-Baptiste Andreae est un conte fantastique qui nous plonge dans les coulisses d'une cuisine aux mets spéciaux. 

À travers le récit initiatique de Blanchette, pure héroïne de conte, Fabien Vehlmann nous décrit une société organisée et excessive qui se complet dans l'opulence.
On retrouve cette opulence dans les dessins de Jean-Baptiste Andreae.
Les pages foisonnent de vie, s'enveloppant d'une colorisation au pinceau magistrale.

Et si, à travers ce conte, les auteurs ne remettaient pas tout simplement en cause nos propres excès ?
Car, dans le monde réel, les Hommes sont de véritables ogres !

Pour lire notre chronique sur Les recettes des films du studio Ghibli.

Bulles Carrées

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