Mots Tordus et Bulles Carrées

Sacrifice (Rick Remender / Max Fiumara)

La loi est ainsi faite.
Tous les 20 ans, un sacrifice est ordonné pour maintenir l’harmonie du monde.
Le contremaître des moissons collecte un enfant dans chaque cellule familiale et amène ces sacrifiants vers une destination que nul ne connaît.
Parmi eux se trouve un pigeon anthropomorphe rejeté par un père autoritaire qui s’apprête à vivre ses derniers jours pour satisfaire cette volonté divine.

De son côté, Rokos, le roi des Dieux, prépare une cérémonie exceptionnelle pour fêter l’évènement.
Mais sa fille Soluna, en pleine crise d’adolescence, semble vouloir y mettre son grain de sel.

Vivre ensemble sans jamais se côtoyer

Soyons clair, j’adore le travail de Rick Remender.
Certes, ses derniers projets n’ont pas forcément la même saveur que Deadly Class.
Mais il a toujours su proposer des intrigues percutantes, nous laissant très souvent le souffle coupé.
Si l’humour noir et irrévérencieux de The Scumbag a pu décevoir, la simplicité glaçante d’Une soif légitime de vengeance s’est avérée plus étonnante.
Et je ne vous parle même pas de la fin de Deaddly Class : un pur chef d’oeuvre !
Du coup, la publication de Sacrifice était très attendue.
Mais que vaut vraiment la série ?

Un nouvel univers plein de promesse

Des divinités élèmentaires

Déjà, une bonne nouvelle.
Après Seven to eternity, Rick Remender renoue enfin avec la fantaisie.
Si l’univers de Sacrifice semble plus classique, il n’en est pas moins maitrisé.
Ce monde mélange autant d’éléments réalistes qu’irréalistes. 
Si certaines espèces n’ont rien d’humaines, elles reproduisent les schémas d’une société traditionnelle, rurale et dévote. 
À l’opposé, le monde des Dieux est moderne, déjanté, sans pour autant éviter le grotesque. 
Nombreux l’ont comparé à Hunger Games. 
Et effectivement, il y a quelques points communs, notamment sur la première partie du récit.
Mais rapidement, l’intrigue prend une toute autre direction, s’intéressant plus aux personnages qu’à la rébellion qu’ils peuvent inspirer.

Il faut dire que le personnage principal, un pigeon anthropomorphe, n’a rien d’un héros.
Rejeté par son père, on ne connait même pas son nom.
Il est simplement défini par sa nouvelle identité : celle de sacrifiant ( the sacrifier en VO).
Le peuple voit en lui et ses compagnons de fortune des messies mais il n’en a ni la prétention ni encore moins l’envie.
Il faut dire qu’hormis la dévote, cet acte sacrificiel n’a rien de volontaire.
Mais le pigeon a accepté sa destinée avec un fatalisme qui, paradoxalement, lui apporte le recul nécessaire pour affronter les tragédies à venir.

Comme souvent, le rythme est élevé, sans pour autant donner l’impression d’une course effrénée à la Black Science.
L’auteur ira même jusqu’à se mettre au rythme des sacrifiants et de leur voyage vers cette destination finale.
Un mal nécessaire pour mieux appréhender les esprits, tout en préparant les futurs bouleversements du récit.
Et ils seront nombreux.

Mais derrière ces retournements de situations, Rick Remender met avant tout en scène des oppositions frontales familiales, amoureuses et plus globalement sociales.

Du renouveau dans les thématiques ?

Un père autoritaire et violent

Avec Sacrifice, Rick Remender multiplie les oppositions.

La première est le leitmotiv du scénariste américain : les rapports familiaux.
L’introduction ne laisse pas de doute sur les rapports qu’entretient le père avec son fils Pigeon.
Et pourtant, derrière cette violence se cache une profonde tristesse.
Cette approche amène de la nuance, tout en démontrant les répercutions d’un tel choix sur les cellules familiales.
Car, derrière les actes, reste un sentiment d’abandon terrible.

Ces actes sont imposés par des Dieux qui ne leur accordent, au final, que peu d’attention.
Rick Remender a créé une véritable mythologie, trouvant sa source dans des éléments aussi primaires que le Soleil ou la Lune.
Là aussi, le scénariste renoue avec une forme de tradition, tout en y apportant sa propre touche.
Et rien de mieux que les relations de couple pour montrer des comportements divins terriblement humains.
Rokos a une vision bien à lui du couple, même si on comprend que cette situation n’est pas forcément que de son fait.
On découvre un roi des dieux qui ne digère pas la liberté d’expression de sa femme Luna.
Mais, si Rokos impose par sa prestance, c’est le caractère de Luna qui l’emporte.
Physiquement et moralement, tout les oppose et Soluna est leur seul lien.

Soluna est une adolescente gâtée qui ne prend pas en compte les risques qu’elle prend.
Si Pigeon, le sacrifiant, est le reflet d’un monde manipulé par les Dieux, la jeune déesse reflète son excentricité et son égoïsme.
A voir si cette dernière tient plus de sa mère que de son père !

La puissance graphique de Max Fiumara

Une imagerie hautement symbolique

Max Fiumara n’est pas le plus connu des dessinateurs de comics, malgré une carrière déjà bien fournie.
Personnellement, j’ai beaucoup apprécié son run sur Abe Sapien et sa présence au sein du Hellboyverse démontre une certaine prestance artistique.

Et Sacrifice est un bel exemple de cette maîtrise.
Déjà, on sent que l’auteur est très à l’aise avec les créatures mystiques ou divines.
Que ce soient les pigeons anthropomorphes ou la galerie divine, Max Fiumara fait preuve d’une grande inventivité.
Rokos, à ce niveau, est une pure réussite de design mais on retiendra surtout celui du contremaître des moissons.
On notera aussi le soin tout particulier apporté aux expressions de ses personnages.
On ressent toute la tristesse et/ou la colère traversant le visage de chaque sacrifiant.

Le dessinateur accorde une grande importance à son encrage et aux effets de masse et de matières.
Ces effets sont primordiaux et apportent de la puissance à son traitement graphique.
Malgré tout, c’est sur cette partie que je serais un peu plus « critique ».
Je trouve le rendu par moment inégal et si certaines planches sont magistrales, d’autres paraissent « bâclées ».
Est-ce dû à un rythme de travail trop poussé ?
Peut être. Même si une nouvelle fois, je me demande si le format Urban n’est pas un cadeau empoisonné pour certains auteurs, rendant honneur aux dessins tout en renforçant certaines lacunes graphiques.

Au final, Sacrifice reste une oeuvre aboutie mais peut être pas aussi parfaite qu’espéré.

En résumé

Sacrifice de Rick Remender et Max Fiumara est une proposition convaincante d'un nouveau monde de fantaisie. 

Rick Remender profite de la destinée de son héros pour aborder des thématiques chères à son coeur, tout en les faisant évoluer dans un monde où l'on doit sacrificier son enfant aux Dieux.
Comme souvent avec le scénariste, l'écriture est aussi rythmée que fataliste, et peu de rayon de soleil transperce cette morosité.
On reste cédant happé par cette histoire aux multiples rebondissements.

Max Fiumara propose un travail intéressant, marqué par des designs inventifs et un encrage puissant.
Si certaines cases semblent moins abouties, l'ensemble est saisissant.


On attend avec impatience la suite.

Pour lire nos chroniques sur Land et Thor : massacreur de Dieux

Bulles Carrées

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